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Lettre ouverte au ministre de la Sécurité

Publié le lundi 12 décembre 2005 à 09h08min

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L’année 2005 a marqué d’une pierre blanche, la lutte contre l’insécurité au Burkina Faso. De la salive, le sujet en a fait couler abondamment. Ouézin Louis Oulon a enquêté sur le phénomène et les fidèles auditeurs de la Radio Nationale ont pu écouter les propos des personnalités telles le ministre de la sécurité, Djibril Bassolé, le président du MBDHP, Alidou Ouédraogo et autres citoyens. Les propos du ministre repose sur la sécurité des burkinabè, se démarquent tout naturellement de ceux des autres. Cela lui vaut une lettre rédigée et postée à Bendré..

Mes respects M. le ministre.

L’insécurité a atteint des proportions jamais égalées ces dernières années au Burkina Faso. Personne n’est épargnée, ou du moins disons que, y échapper devient une question de chance. Le 24 juillet 2005, Ouézin Louis Oulon, journaliste de la Radio Nationale en a été victime, alors qu’il était en compagnie de Me Harouna Sawadogo, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats. Une aventure malheureuse qui a conduit le journaliste, durant trois mois, dans un travail d’investigation pour cerner le phénomène de l’insécurité.

« Le défi de l’insécurité », c’est le titre de l’enquête menée et diffusée sur les ondes de la Radio Nationale le samedi 03 décembre 2005 à 10 h et rediffusée le même jour à 21 h. La soif de la sécurité a incité les auditeurs à tendre l’oreille à tout ce qui a été dit. Parce que concerné, il nous semble important de revenir sur certains de vos propos.

Nous sommes d’avis avec vous que la sécurité incombe à tous. N’est-ce pas cette prise de conscience que la police de proximité en perspective se devrait de susciter en nos populations ? Sans doute, vous maîtrisez « l’analyse du phénomène » de l’insécurité au Burkina. Quoi de plus normal quand on est formé en la matière ?

Dans la stratégie de lutte contre les bandits qui sèment la désolation sur nos routes, les solutions sont éloquentes : faire cesser la menace, mettre les bandits hors d’état de nuire, nettoyer les zones, les axes routiers (court terme), l’instauration de la police de proximité dans le long terme. Bref.

Mais comment cela se passera t-il ? En utilisant les mêmes armes que les bandits. A armes égales la victoire est au bout du tunnel ? Belle idée. Des citoyens proposent de revisiter l’arsenal législatif favorable aux délinquants. Pas de problème ! Cela en vaut la peine. Ces hommes qui veulent manger sans travailler une fois relaxés pour insuffisance de preuves pérennisent leurs basses besognes. Sur ce terrain « les associations de lutte pour les droits de l’homme doivent bien faire leur travail pour ne pas apparaître subversives ».

Oui, M. le ministre ! Des Burkinabè tiennent à votre égard des critiques à caractère « subversif, calomnieux », pourquoi pas « méchants » ? Voyez-vous, les hommes intègres ne sont toujours reconnaissants envers ceux qui se sacrifient pour leur sécurité. Au lieu de lancer des critiques de ce genre, ils doivent se demander si les moyens mis à la disposition du ministre de la sécurité lui permettent de mener à bien sa mission. Malheureusement, ils n’y songent pas. C’est dommage, n’est-ce pas ?

Les moyens sont dérisoires vu le poids et l’importance de cette lutte contre l’insécurité. Nous vous croyons. Il n’y a pas aussi de doute que le peu qu’on vous donne est judicieusement utilisé. Avec 100 millions de FCFA pour le carburant, soit 90.000 FCFA par trimestre pour chaque directeur provincial de la police ou de la gendarmerie, le travail reste pénible. Les forces de l’ordre sont démunies. « Les bandits le savent », ajoutez-vous. Cela est pour eux un motif d’encouragement. C’est certain...

En observant les budgets alloués au ministère de la sécurité ces quatre dernières années, les dons et autres gadgets, on ne peut que le laver de tout reproche.
- 2001 : 5.893.000.000 FCFA
- 2002 : 6.108.000.000 FCFA
- 2003 : 6.593.000.000 FCFA
- 2004 : 6.216.000.000 FCFA
- 2005 : 7.846.000.000 FCFA
La liste des chiffres peut continuer. Mais restons là.

Toujours est-il que ces sommes sont des gouttes d’eau dans la mer. La logique voudrait que les contribuables redoublent d’ardeur et de générosité. Espérons qu’ils comprendront la nécessité d’un tel geste. Tout cela, pour être plus « sérieux », nous nous abstenons de jugement de valeur qui pourrait vous déplaire. Les journalistes direz vous ont la plume facile. Il faut faire avec !

Le Burkina Faso ne retrouvera pas « sa quiétude des années 60, le monde a changé, ce qui se passe dans le monde, ce n’est pas du cinéma ». Sur le même ordre d’idées, le Faso ne peut demeurer « un îlot de prospérité au milieu d’un océan turbulent ».
Ces mots, M. le ministre, nous ont touchés ; pour la simple raison qu’ils véhiculent des vérités incontestables.

En effet, notre pays est situé au cœur de l’Afrique de l’ouest, une région secouée depuis une décennie par des conflits armés, notamment au Libéria, en Sierra Léone et en Côte d’ Ivoire. Le conflit ivoirien, du fait de sa proximité est une source d’insécurité pour le Burkina Faso. Tout le monde en convient.

En projetant notre regard au loin, l’on se rend à l’évidence que la violence semble devenue de l’eau de boisson pour la société du 21ème siècle. Pour cela nous vous donnons quitus que la donne a sensiblement évolué. Néanmoins, au lieu de demander votre démission comme le souhaitent certains Burkinabè, permettez-nous de vous traduire nos inquiétudes.

A bien vous écouter, l’insécurité n’a pas de solution en tant que telle. Etant donné que « l’évolution de la société ne peut que produire ce phénomène ». Le Burkina Faso s’est engagé pour une vie où les bandits, les coupeurs de route auront toujours leur mot à dire.
L’insécurité est un produit de l’histoire de notre société. Le samedi 03 décembre, il nous est revenu que les compagnies de transport SOGEBAF et TSR sont tombées dans le filet des bandits et cela continuera, parce que c’est « normal ! ».

Les Burkinabè rêvaient pouvoir voyager à l’intérieur de leur pays sans avoir affaire à ces messieurs indésirables. L’on se rend compte maintenant qu’un rêve reste un rêve et de surcroît, il faut déchanter.

Nous avons peur M. le ministre ! Les enquêtés l’ont répété à Ouézin Louis Oulon. Ce que nous regardons à la télévision peut se reproduire chez nous. Voilà une vérité ; tout le monde ne peut la deviner. Maintenant ça y est ! Bagdad, Tchétchénie, Somalie, Côte d’Ivoire, France (crise des banlieues) et autres... Nous ne sommes pas à Hollywood. Chaque Burkinabè se doit d’intérioriser une vérité aussi éclatante.

Au vu de ce qui précède, faut-il que chacun s’occupe de sa sécurité à l’instar de celui qui a dû débourser au moins 126.000 FCFA pour se faire escorter de Ouaga jusqu’aux frontières du Ghana ?

On a l’impression que l’on s’achemine vers une privatisation de la gestion de la sécurité des citoyens. Quelles conséquences pour une société où la sécurité est privatisée ? Les armes circuleront à flot comme en Amérique Latine où les privés interviennent contre les guérillas et les trafiquants de drogue. Il en est de même en Bosnie, en Afghanistan et plus près de nous en Côte d’Ivoire et au Libéria où les fusils sont sous les oreillers au nom de sa propre sécurité.

D’une part, cela peut se comprendre, d’une certaine manière mais de l’autre, il est à craindre pour la stabilité à long terme d’une telle société. Les armes crépiteront à la moindre étincelle.
M. le ministre, d’aucuns ne manqueront pas de dire que la sécurité est une chose très sérieuse pour qu’on la confie à un gendarme.

Nous nous pensons plutôt que la sécurité est une chose trop sérieuse pour que des individus quelconques s’en approprient. Ils peuvent échapper largement à tout contrôle dans un système démocratique. Ce serait donc une dérive grosse de dangers. Certes, le Burkina ne retrouvera pas sa quiétude d’antan compte tenu du type de gouvernance en cours et du contexte sous régional. Cependant, le besoin de sécurité ne doit pas amener les Burkinabè à se sécuriser eux-mêmes avec tout ce que cela comporte d’avantages mais surtout d’inconvénients.

M. le ministre, nous ne saurions terminer sans vous faire une toute petite suggestion à même de réduire sensiblement le banditisme et amener les populations à collaborer franchement avec les forces qui se veulent de sécurité. Envoyer vos éléments à la cité de l’impunité à Somgandin et à Ouaga 2000. Qu’ils sonnent à chaque portail et qu’ils demandent le bulletin de paye de chaque propriétaire. Le rapport salaire/valeur immobilière vous permettra d’envoyer beaucoup de gens là ou ils devraient résider en principe : la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou.

Faites de même pour les conducteurs de ces wagons rutilants. Si ce travail est fait, vous verrez que la population aura confiance en ces gouvernant et les coupeurs de route et autres délinquants n’auront plus un coin pour se réfugier !

Par Nana Michel

Bendré

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