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Décès tragique de Marie Thérèse Sebgo, directrice de l’interprétation et de la traduction

Publié le vendredi 3 février 2006 à 07h50min

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Marie Thérèse Sebgo

Marie-Thérèse Sebgo, précédemment directrice de l’interprétation et de la traduction du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale est décédée le 31 janvier des suite d’un accident de la circulation à Kantchari,dans la province de la Tapoa.

Il y a quelques semaines, le 10 décembre dernier précisément, Sidwaya lui consacrait un article où elle parlait avec passion de son métier. Nous vous le proposons à titre posthume.


Il est des talents dont on ne parle pas mais qui apportent leur pierre à la construction de la société burkinabè. Marie Thérèse Sebgo est de ces « privilégiés » qui ont forgé leur utilité à l’ombre des chefs d’Etats qui se sont succédé au fauteuil présidentiel depuis 1982. Aujourd’hui, cette dame qui a pour devise abnégation, amour et sérieux est directrice de l’interprétation et de la traduction au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale.

L’une des rares interprètes au Burkina à prêter serment devant le tribunal de Grande instance de Ouagadougou en jurant de garder le secret. Mme Sebgo dévoile ici un pan de ce métier qu’elle exerce avec passion.

Sidwaya Plus (SP) : Qu’est-ce que l’interprétation ?

Marie-Thérèse Sebgo (MTS) : L’interprétation est la capacité à écouter un message, le comprendre et le rendre dans une autre langue. Elle nécessite deux langues : la langue source et la langue d’arrivée. La langue source est la langue d’origine du message. Elle est celle comprise par celui qui interprète vers une autre langue qui est appelée la langue d’arrivée.

SP : Comment se déroule l’interprétation au cours d’une cérémonie ?

MTS : Nous avons essentiellement deux sortes d’interprétation : l’interprétation simultanée et l’interprétation consécutive. L’interprétation simultanée se déroule au cours des grandes conférences, des séminaires, etc.

Dans le cas d’espèce, l’interprète de conférence se tient dans une cabine vitrée insonorisée. Il interprète simultanément l’orateur de sorte qu’il y a à peine quelques secondes de décalage entre le message dit et le message interprété par l’interprète à partir de sa cabine à l’aide d’un équipement spécial. Par le biais d’écouteur, il écoute l’orateur et rend par son micro le message dans la langue choisie aux autres personnes présentes dans la salle et munies d’écouteur.

L’interprétation consiste à faire l’interprétation pour un groupe beaucoup plus restreint de deux ou trois personnes ou entre deux personnalités lors d’une interview. A l’occasion, l’interprète prend des notes de tout ce que l’orateur dit afin de le retransmettre après 2 à 5 minutes selon le temps accordé par l’orateur à l’interprète.

L’interprète, en fonction des notes prises, rend le message de manière simple, précis mais surtout fidèle. Interprétater n’est pas transposer un message mais rendre la compréhension que l’on a eue du message. Elle n’est pas du mot à mot.

SP : A côté de l’interprétation, il y a la traduction. Quelle est la différence entre la traduction et l’interprétation ?

MTS : L’interprétation est essentiellement orale. Que ce soit l’interprétation simultanée, consécutive ou chuchotée (NDLR : la chuchotée fait partie de la simultanée). L’interprète est assis derrière les orateurs et chuchote à l’oreille de celui qui ne comprend pas la langue ce que dit son interlocuteur, elle fait appel à l’oralité. Dans le cas de l’interprétation chuchotée, elle ne doit pas dépasser plus d’une personne. En revanche, la traduction concerne l’écrit. Elle consiste à traduire les documents écrits d’une langue à une autre langue.

SP : En ce qui vous concerne, laquelle des deux formes d’interprétation faites-vous le plus ?

MTS : Personnellement, je fais beaucoup d’interprétations. J’ai surtout suivi une formation d’interprète de conférence. Cependant, au Burkina Faso, nous avons des interprètes fonctionnaires et d’autres free-lance. Les interprètes free-lance sont installés à leur propre compte. Ils ne font que de l’interprètation de conférence.

A notre niveau et en tant que fonctionnaires de l’Etat, nous faisons les deux formes. Ainsi, nous faisons l’interprétation pour le service public (les différents départements ministériels, le Premier ministère, la Présidence) et pour les conférences internationales qui se tiennent la plupart du temps à Ouagadougou.

Quant à la traduction, nous la faisons en ce qui concerne tous les documents officiels du service public. Tous les documents en anglais transmis au service public burkinabè de l’extérieur sont traduits par notre direction. La traduction est faite par un (e) traducteur (rice). Elle est ensuite revisée par un chef de service traduction. Au bout de la chaîne, je suis chargée de revoir le document avant qu’il ne reparte d’où il est venu.

SP : Comment devient-on interprète ?

MTS : Il y a des écoles de formation après le niveau licence ou maîtrise. De ce fait, il faut d’abord posséder une licence ou une maîtrise dans n’importe quel domaine avant d’entrer dans une école de formation en interprétation. L’école la plus recommandée et la plus connue est l’Ecole supérieure d’interprète-traducteur de Paris à la Sorbonne. L’on y accède sur test avec le niveau maîtrise.

A l’époque où j’y étais, nous passions une présélection. Passée cette étape, si vous êtes admis, vous passez une seconde sélection à l’issue de laquelle, vous entamez la formation. La formation dure deux ans, que ce soit en traduction ou en interprétation. Ce sont des domaines séparés mais il peut y avoir un tronc commun dans certaines écoles durant la première année.

A l’issue de cette formation, l’étudiant fait une option de son choix. A l’issue de cette formation, l’étudiant obtient l’équivalent d’un diplôme d’étude supérieur spécialisé (DESS) en interprétation. Cependant, il est important de savoir que l’on n’apprend pas la langue à l’école d’interprétation et de traduction.

L’étudiant rentre à l’école d’interprétation et de traduction avec un bagage linguistique déjà bien fourni. Cela veut dire que l’étudiant maîtrise la langue A que nous nommons la langue maternelle. Pour nous, le français constitue la langue maternelle, la langue B constitue la plupart du temps l’anglais et langue C est une connaissance passive d’une troisième ou quatrième langue à partir desquelles vous travaillez.

En d’autres termes, je peux interpréter ou traduire à partir de cette troisième langue mais je ne peux pas interpréter ou traduire vers cette langue du fait que ma connaissance est passive. Cela n’exclut pas le fait que je la comprenne suffisamment pour la traduire vers ma langue A ou B.

SP : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de votre métier ?

MTS : Au niveau de l’Etat, nous n’avons pas de problème en ce qui concerne l’interprétation. Le problème se situe au niveau de la traduction des documents officiels. Nous avons des institutions qui nous sollicitent au dernier moment pour traduire des documents en 48 heures pour cause de mission imminente. Dans le genre d’espèce, nous travaillons sous stress.

En outre, nous avons un manque de ressources humaines et matérielles au niveau de notre direction. Nous ne sommes pas très nombreux et les combinaisons linguistiques ne sont pas suffisamment importantes pour nous permettre de brasser toutes les langues. En matière d’interprétation, les organisateurs de réunions n’ont souvent pas en esprit le fait que, selon la déontologie, nous devons recevoir les documents de travail au moins 15 jours avant le jour J.

L’interprète, même s’il maîtrise son travail, doit d’abord se préparer. Une terminologie concerne chaque conférence. Vous pouvez travailler sur des thèmes ayant trait à la médecine durant cette semaine et dans une autre semaine, les thèmes peuvent être politique, économique, etc. De ce fait, il nous faut du temps pour nous imprégner des thèmes. Souvent, nous sommes obligé de poursuivre les organisateurs pour récupérer les informations.

Même le programme de travail nous est remis souvent au dernier moment. D’autre part, les organisateurs ne comprennent pas qu’après un certain temps en cabine, nous avons besoin de souffler. Par exemple, lorsque nous sommes en cabine, nous nous relayons toutes les 30 minutes pour nous permettre de souffler. De ce fait, le travail en cabine ne doit pas excéder en général pour une journée, 6h30 à 7h30 de temps en cabine. Sinon, cela devient difficile pour l’interprète.

Il y a eu des moments où les gens croyaient que c’étaient des machines qui rendaient le message. Ils ne savaient pas que c’était des humains qui étaient dans la cabine. A première vue cela fait rire mais de plus en plus, les gens commencent à comprendre. Le problème au niveau du Burkina et précisément à Ouagadougou est que ceux qui n’ont pas été formés en interprétation mais parce qu’ils comprennent le français et l’anglais jouent Le rôle d’interprète dans les conférences.

Et lorsque cet interprète n’est pas à la hauteur, il arrive que les conférenciers nous appellent à la rescousse. J’ai tendance à refuser souvent du fait qu’on leur dit de prospecter le terrain avec le ministère des Affaires étrangères. En principe, il y a des interprètes sur place. Même si nous ne pouvons pas faire le travail, nous connaissons presque tous ceux qui peuvent faire le travail sur place.

SP : Cela ne découle pas du fait que vous ne soyez pas très connu par le public burkinabè ?

MTS : Effectivement. Nous avons des cadres du pays qui ne savent pas ce que c’est qu’un interprète. Ils n’ont pas la notion de la formation faite par l’interprète. Certains pensent que c’est un individu sorti juste du lycée. Pourtant, l’interprète est nanti de sept ans de formation (BAC+7). Donc, l’interprète est assimilable à un cadre supérieur.

SP : La profession nourrit-elle son homme ?

MTS : Au compte de l’Etat nous agissons comme des fonctionnaires. Lorsque nous couvrons les séminaires, les conférences organisés par l’Etat, cela fait partie du service public. Personnellement, je couvre les audiences du chef de l’Etat, ses voyages officiels, de même que ceux du Premier ministre en tant que fonctionnaire. En terme pécuniaire, il n’y a rien. Cependant, comme tout fonctionnaire en mission, vous bénéficiez des frais de mission.

Mais, l’orsqu’une structure de l’Etat organise une conférence financée par l’extérieur nous demandons une somme forfaitaire pour chaque interprète. La structure peut honorer cette somme comme ne pas l’honorer. A partir du moment où c’est un démembrement de l’Etat qui sollicite l’utilisation des interprètes, ils sont mis à leur disposition avec ou sans rémunération forfaitaire. L’orsqu’il s’agit d’un organisme international tel la Banque mondiale, le PNUD ou autre, nous sommes dans le cas du privé. En ce moment, nous signons un contrat dont les clauses appliquent le tarif international.

Actuellement, ce tarif va au-delà de 600$ par jour et par personne (NDLR : plus de 336 000 FCFA/jour) pour la petite équipe d’interprètes (2 à 3 personnes maximum). Dans le cas précis, et en tant que fonctionnaire de l’Etat, nous demandons une autorisation d’absence pour couvrir l’évènement. Et au retour de la réunion une fois rémunérée par l’organisateur, nous devons rembourser au trésor public, le salaire du nombre de jours ouvrables où nous avons été absent. Nous avons proposé cette solution à notre ministère de tutelle de l’époque. Nous pensons que lorsqu’on exerce une profession plus ou moins libérale il y a des impôts à payer. Et à partir du moment où nous prenons ces rémunérations sans payer d’impôts, c’est une manière pour nous de contribuer au trésor public.

SP : Métier passionnant ?

MTS : L’interprète gagne toujours ne serait-ce que sur le plan intellectuel. Tous les jours nous apprenons quelque chose au contact des autres et des thèmes traités lors des réunions et des conférences. En outre, nous avons besoin de toujours être informé. Il nous faut une bonne culture générale. Nous recevons par cette occasion des informations nouvelles pour notre profession. Il faut aussi reconnaître que lorsqu’on a la chance d’être payé au tarif international, ce que nous remettons à l’Etat est très minime par rapport à ce que nous engrangeons du fait qu’il est en sus de notre salaire.

SP : Quels ont été vos joies et vos peines dans ce métier ?

MTS : (Rires). J’ai de très bons souvenirs dans ce métier. Je dois reconnaître que je suis une privilégiée. J’ai eu la chance depuis la révolution d’Août 1983 de travailler avec les premiers responsables de ce pays. C’est toujours un honneur, un privilège, une fierté de travailler à ce niveau parce qu’on se dit que c’est reconnaître en vous une certaine capacité, une certaine compétence. Cette motivation vous stimule même si vous ne gagniez pas d’argent dans l’exercice de cette tâche. Cela appelle à une amélioration permanente afin de faire honneur à vos responsables et à votre pays.

L’interprétation est un travail qui invite à la remise en question permanente. Je n’ai vraiment pas de peine parce que c’est un métier que j’exerce avec beaucoup d’enthousiasme. Matériellement, ça ne suit pas comme je l’aurais voulu. Si j’étais allée comme la plupart de mes prédécesseurs du ministère dans une organisation internationale, j’aurais été aujourd’hui financièrement à l’aise. Cependant, je suis heureuse de ce que j’ai. Ma satisfaction morale est au dessus de toute considération matérielle.

Interview réalisée par Daouda Emile OUEDRAOGO (ouedra1@yahoo.fr)

Sidwaya

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