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Béatrice Damiba, ambassadeur du Burkina Faso en Autriche : "Je suis un soldat de Blaise Compaoré"

Publié le vendredi 2 décembre 2005 à 08h22min

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S.E.Mme Béatrice Damiba

Souvenir, souvenir ! En recevant en invitée de la Rédaction ce mercredi 23 novembre, Son Excellence madame Béatrice Damiba, ambassadeur du Burkina Faso en Autriche, les journalistes de Sidwaya n’ont fait que replonger dans le temps. Notre invitée, une des pionnières de la maison et de la profession dans notre pays était bel et bien "chez elle" avec ses confrères et consœurs.

Première femme rédactrice en chef de Sidwaya, alors Carrefour Africain et du Bulletin quotidien, "Béa" comme on l’appelle affectueusement qui a trempé sa plume au vitriole, est restée toujours la journaliste engagée, libre et indépendante. Ce qui ne lui a pas toujours valu des lauriers, surtout à une époque où la presse se conjuguait au temps uniquement de la tutelle de l’Etat, hormis l’Observateur.

Mais loin de focaliser les échanges sur la profession, d’autres champs de débats ont été ouverts qui portent sur l’actualité nationale avec en bonne place la présidentielle, les relations austro-burkinabè, le Burkina, vu de l’extérieur. Koupèla, ville d’origine de Mme Damiba, s’est aussi invitée dans les débats avec son "dolo", ses poulets "mademoiselles" et ses goyaves "chauds".

Sidwaya (S.) : Que représente pour vous, Ambassadeur du Burkina en Autriche, la victoire du candidat Blaise Compaoré à l’élection présidentielle du 13 novembre dernier ?

Béatrice Damiba (B.D.) : Je devrais dire que ce n’est peut-être pas seulement en tant qu’ambassadeur du Burkina Faso en Autriche que je vais répondre, mais également en ma qualité de militante du parti majoritaire, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et même de membre fondateur de l’Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail (ODP/MT), qui par la suite des alliances, s’est transformée en CDP en 1996.

C’est ce qui explique que pour moi, c’était un devoir militant d’être là, pour apporter ma contribution à la campagne électorale de Blaise Compaoré.

Même en tant que ambassadeur, qu’on le veuille ou pas, c’est quand même un poste politique. Parce qu’un ambassadeur représente le président du Faso à l’étranger. Et dans la mesure où ce même président du Faso qui m’a fait confiance en me nommant à ce poste se présente pour une nouvelle élection, j’ai cru qu’il était important pour moi d’être là.

Pour répondre à proprement parler à la question, cette victoire représente pour moi, le résultat d’un travail de longue haleine et la démonstration de l’attachement de Blaise Compaoré pour son pays. Cela fait 18 ans qu’il a les rênes de notre pays et je pense que plus que tout, c’est son bilan, largement positif qui a milité dans la mobilisation générale des populations du Burkina Faso pour sa réélection.

Ensuite, c’est bien sûr son programme. Parce que ce sont les programmes politiques des uns et des autres qui déterminent le choix des électeurs. Et donc cette victoire représente également le début d’une nouvelle bataille. Il a un nouveau programme, "Le pogrès continu pour une société d’espérance" et nous (moi et tous ceux qui l’ont élu ou pas) devons tous nous mobiliser à ses côtés pour relever les nouveaux défis. Il y a des objectifs à atteindre et dans 5 ans, j’espère qu’on pourra dresser un bilan encore plus positif que celui que l’on a aujourd’hui. Voilà pour moi le sens de cette victoire.

S. : D’aucuns pensent que cette victoire est liée à la faiblesse de l’opposition.

B.D. : Du moins pour le score et l’énorme écart. Ceci est en effet lié aussi à la faiblesse de l’opposition et les opposants, s’ils sont sincères, doivent le reconnaître. Certains d’entre eux l’ont d’ailleurs déjà reconnu. L’on s’attendait à ce que l’opposition pour une fois, essaie de s’entendre, pour avoir un, deux ou trois candidats face au président sortant. Cela n’a pas été le cas. Donc, je pense que la taille de cette victoire est aussi liée à l’inorganisation et à la mésentente de l’opposition, car entre eux-mêmes, ils se donnent des coups. Et donc, ils ne doivent pas être étonnés de ces résultats. Evidemment, on dit aussi que cette victoire est due à la différence des moyens. Peut-être, mais ayant suivi depuis tant d’années la vie politique de notre pays, je me dis qu’aujourd’hui, Blaise Compaoré aurait même pu ne pas faire de campagne, qu’il aurait été élu.

S. : Pensez-vous comme certains que le score de 80,30% ne représente pas la réalité des problèmes que vit le Burkina Faso ?

B.D. : Presque tous les observateurs ont reconnu la transparence de ces élections, l’équité dans la couverture médiatique (et je profite pour vous tirer mon chapeau) et bien d’autres arguments qui viennent renforcer ce résultat. Une fois de plus, si l’opposition n’était pas allée à ces élections en ordre dispersé, je pense que le score allait être autre. Et puis, il faut quand même reconnaître que le président Blaise Compaoré a bénéficié de beaucoup d’alliances aussi bien au plan politique qu’au plan de la société civile. La résultante de toutes ces forces en présence dans le pays a donné les 80,35 %. Sans compter que des militants de l’opposition désabusés, ont donné des voix, j’en suis sûre, à Blaise Compaoré plus crédible.

S. : Comment jugez-vous le score des 12 adversaires de Blaise Compaoré à ce scrutin ?

B.D. : Je constate que personne n’a même atteint la barre des 5%. Cela veut dire qu’aucun d’entre eux ne pourra récupérer la caution. Le minimum de base que l’on a fixé, personne ne l’a atteint. Vous imaginez que s’ils étaient deux, ils auraient amélioré le score. Mais je pense que cela reflète le poids réel qu’ils représentent sur le terrain. Donc, chacun a récolté ce qu’il a semé. Mais c’est une bonne chose déjà, qu’il y ait eu autant de candidats et qu’au finish, ils aient accepté de s’incliner devant ces résultats, même s’il y a eu quelques commentaires. Ce qui est tout à fait légitime aussi. Cela relève d’une certaine hauteur de vue et d’une certaine élégance politique de leur part. Il faut quand même le leur reconnaître.

S. : L’écart entre le président élu et le premier des opposants, constitue-t-il un atout ou un handicap ?

B.D. : Nous sommes dans un processus. La démocratie n’est pas une chose acquise pour de bon. Et si les opposants ne s’étaient pas présentés, ils n’auraient même pas pu jauger de leur poids ou de leur valeur sur le terrain. C’est une première et ces résultats ne sont pas étonnants. Je suppose qu’aux prochaines élections, il y aura à nouveau pluralité de candidats. Qui sait ? Peut-être que mieux organisée, l’opposition pourra réaliser un meilleur score. Sinon, cet écart représente tout à fait la réalité du terrain.

S. : De manière générale, que pensez-vous du processus démocratique au Burkina Faso ?

B.D. : A la lumière de cette récente élection, je suis contente d’avoir été là, d’avoir vécu, et d’avoir vu ce qui s’est passé. Je crois que je suis un des témoins privilégiés de l’évolution de la vie politique et de la construction de la démocratie au Burkina Faso. Réellement, il y a un progrès inestimable. Vous qui vivez ici tous les jours, vous pouvez ne pas vous en rendre compte. Mais à écouter seulement les médias au plan international, on peut avoir une idée, en comparant avec ce qui se passe dans d’autres pays en Afrique.

J’ai constaté une réelle maturité du peuple burkinabè en tournant dans les villages, en discutant avec les gens, en leur expliquant les choses. Mais quand les villageois eux-mêmes vous expliquent pourquoi ils soutiennent Blaise Compaoré, ils font des analyses vraiment très lucides. Et ce n’est pas seulement parce qu’on a un chapeau ou un tee-shirt qu’on vote. Cela peut être vrai pour certains, mais pour la plupart, ce n’est pas le cas. Le peuple a atteint une maturité politique assez élevée.

Egalement, en face du parti majoritaire, l’opposition, quoique divisée, a aussi atteint une certaine maturité et a donc fait des progrès. Parce que déjà le fait de s’être présentée est une excellente chose. Vous vous rappelez qu’à la première élection, il y avait 14 ans, il y a eu un boycott, Blaise Compaoré était seul. Il y a 7 ans, il y avait aussi semi-boycott.

Cette fois-ci, on a assisté vraiment à une ouverture, donc à l’application sur le terrain d’une démocratie intégrale. Et rien n’a été fait pour empêcher qui que ce soit de se présenter. Alors que dans beaucoup de pays africains, vous voyez ce qui se passe. On invente même des histoires pour empêcher les concurrents potentiels de se présenter.

Ici, on n’a empêché personne de se présenter et c’est la preuve que le processus démocratique va bon train.

S. : Vous avez lié votre présence ici, à votre militantisme pour le CDP. Est-ce à dire que vous souhaitez que pendant le partage du gâteau, on ne vous oublie pas ?

B.D. : (Rires dans la salle...). Qu’est-ce que le gâteau ?

S. : Peut-être un poste ministériel.

B.D. : Je ne parlerai pas en termes de gâteau parce que je suis une personne qui ne mange pas beaucoup (rires). Je suis d’un appétit vraiment très petit et on me le dit souvent. Donc, je n’attends pas un partage de gâteau quelconque. Du reste, je n’aime pas trop ce terme de gâteau. J’ai toujours eu un idéal politique et j’ai toujours travaillé pour cet idéal. Je me suis toujours entièrement donnée pour ce pays et j’ai toujours démontré mon attachement et mon patriotisme pour ce pays.

Je ne suis pas venue au parti parce qu’il y avait quelque chose à gagner, bien au contraire, je suis dans ce parti, parce que j’ai quelque chose à lui donner. Et j’ai dit que je suis parmi les membres fondateurs.

Aujourd’hui on en compte combien qui pour une raison ou pour une autre, ont décroché ? Donc si je suis restée fidèle, constante et conséquente, c’est parce que je suis beaucoup plus attachée à ce pays qu’à un poste. C’est-à-dire que je ne suis pas engagée pour mon intérêt personnel. Et si je veux bien rentrer dans votre raisonnement, même en "acceptant" cette histoire de gâteau, je suppose que c’est l’exercice du pouvoir.

Moi, je suis déjà dans le système. Et vous croyez qu’être ambassadeur n’est pas une part du pouvoir dans ce pays ? Je représente le président du Faso et l’ensemble du gouvernement à l’extérieur. Je représente donc tout le peuple burkinabè. A ce titre, j’apporte déjà une contribution appréciable à la construction de la démocratie dans ce pays, mais aussi et surtout à la construction d’un développement durable. Je pense donc que je ne suis pas à la périphérie. Je suis au cœur du gâteau, mais je ne le consomme pas. Je suis à la cuisine pour faire ce gâteau que d’autres plutôt consomment.

S. : On a vu presque tous les ambassadeurs du Burkina en poste à l’étranger revenir au pays montrer leur engagement. Cela n’entache-t-il pas votre neutralité par rapport à la présidentielle ?

B.D. : Moi je parle pour moi (rires). Parce que vous avez parlé des autres ambassadeurs. L’exercice de la diplomatie au Burkina Faso, prend en compte un certain nombre de personnes qui ne sont pas des diplomates de carrière dont moi et beaucoup d’autres. Et qui de droit savait bien qui est qui en nous nommant ambassadeurs. Et ce n’est pas parce que je suis prêtée pour quelques temps au ministère des Affaires étrangères, que je dois renier mon appartenance politique. Ne l’ayant pas renié, je ne dois pas me cacher et je ne dois pas me dérober. Je pense que ce n’est pas incompatible avec le fait d’être ambassadeur.

Supposons que Blaise Compaoré n’ait pas été réélu, probablement que je n’aurai plus ma place là où je suis. Donc, je suis un soldat de Blaise Compaoré et je n’ai pas à en rougir. Je le démontre y compris à l’extérieur. Les gens le savent, cela apparaît dans mon CV. Cependant, je ne discrimine aucun Burkinabè à l’étranger.

S. : Quelle image le Burkina Faso présente-t-il à l’étranger, en particulier en Autriche et même en Italie où vous aviez servi ?

B.D. : Disons que je peux beaucoup plus parler de l’Autriche que de l’Italie qui est déjà une histoire dépassée. Mais de façon générale à l’étranger, le Burkina Faso est perçu d’un bon œil, au plan surtout politique, à travers la longue vie de notre présente République, la solidité des institutions et aussi la bonne gouvernance. Elle n’est certes pas parfaite, mais des efforts sont faits si bien que le Burkina Faso jouit d’une bonne image à l’étranger en particulier en Autriche où nous avons bénéficié du choix des autorités autrichiennes, comme un pays de concentration de leur coopération. Nous sommes un des deux pays de l’Afrique de l’ouest avec le Cap Vert, qui ont été retenus par l’Autriche pour concentrer sa coopération. Cela n’est pas un hasard.

Je suis aussi accréditée auprès d’un certain nombre d’organisations internationales à Vienne. Il y a l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Office des Nations unies de Vienne qui s’occupe d’un certain nombre de questions déléguées par le Secrétaire général des Nations unies, tels que le terrorisme, la corruption, la criminalité, etc. Je suis aussi accréditée auprès de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), c’est ce qui explique, il y a quelques jours que je visitais des usines avec le ministère du Commerce.

Je suis également accréditée auprès de l’Organisation du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Au sein de toutes ces organisations, je vous assure que le Burkina Faso jouit d’une très bonne réputation. De même qu’au sein du groupe africain et de la communauté internationale. Ce qui explique d’ailleurs que nous bénéficions de beaucoup d’appuis et du choix fréquent du Burkina, pour abriter des réunions. Que ce soit avec l’Office des Nations unies, l’AIEA, l’ONUDI, l’OTICE, mais aussi le Fonds de l’OPEP, il y a beaucoup d’échanges dans les deux sens. Donc, je peux me réjouir de l’image dont jouit le Burkina Faso là où je suis actuellement.

En Italie, c’était aussi la même chose. Là-bas, en plus de la coopération bilatérale, il y a aussi la FAO, le PAM, le FIDA, qui, tous apprécient très positivement les rapports de coopération avec le Burkina.

S. : On constate que nombre de pays occidentaux sont de moins en moins hospitaliers. Est-ce le cas en Autriche ?

B.D. : Je suppose que vous voulez parler des récents événements sur les problèmes de l’immigration. Si tout le monde pouvait être hospitalier comme le Burkina Faso, il n’y aurait vraiment pas de problèmes dans le monde. J’aime bien souvent dans mes discussions avec les uns et les autres à l’étranger, leur donner l’exemple du Burkina Faso qui est un pays ouvert, qui accueille tout le monde les bras ouverts, qui abrite plusieurs communautés, qui n’a jamais expulsé parsonne, ni visé un peuple ou un pays donné et qui plus, fait preuve d’une cohésion sociale, au-delà des différences de religion, de langue, d’appartenance ethnique, de région, etc.

Pour un Burkinabè, ça fait très mal et c’est regrettable de voir ce qui se passe en Europe. C’est vrai, l’Union européenne tente depuis un certain nombre d’années d’harmoniser sa politique en matière d’immigration. Se disant que les frontières deviennent de plus en plus éloignées et les Européens veulent pouvoir contrôler ces frontières à la périphérie.

Mais je crois qu’on ne peut pas être en même temps pour la globalisation au plan économique, commercial, et refuser la globalisation au plan social. Les produits peuvent circuler librement d’un bout à l’autre du monde, mais les personnes ne peuvent pas circuler. Je crois pourtant que l’avenir de notre planète est dans l’ouverture des frontières. Et de toutes façons, la pression va continuer parce que les immigrants sont toujours déterminés à partir en Europe. Nous mêmes, il nous arrive de vivre des situations de xénophobie, voire de racisme lié au faciès. C’est dommage.

Il faut continuer, à travers l’éducation dans les écoles, les échanges entre les pays, à combattre ce problème. C’est un travail de longue haleine.

Je sais que vous pensez aussi à ce qui se passe depuis un certain temps en France, avec la révolte des jeunes banlieusards. Il fallait s’y attendre. Plus on va rejeter les gens, les mettre dans les ghettos, les combattre sur la base de leur culture, de leur couleur, de leur langue ou de leur religion, plus on trouvera en face une résistance. Donc, je pense qu’il faudra revoir les politiques dans ce domaine. Nous, nous ouvrons nos portes aux Européens qui viennent ici sans difficulté et dans l’autre sens, nous estimons qu’on doit pouvoir s’y rendre aussi, dans la mesure où nous avons contribué et nous continuons de contribuer, à la construction de ces pays développés. Donc, nous pouvons prétendre avoir notre place là-bas.

Bien entendu le développement de l’Afrique réduira les flux migratoires vers le Nord.

S. : Les populations au niveau des pays africains, ne comprennent pas souvent ce silence des ambassadeurs africains face à ces problèmes que vous évoquez.

B.D. : Au niveau des Ambassadeurs, vous ne pouvez pas le savoir, puisque ce ne sont pas des protestations que l’on diffuse forcément, mais il arrive qu’on s’élève contre certains actes face à certaines situations précises. Pour ce qui concerne l’Afrique, malheureusement, je puis être d’accord avec vous que peut-être nous n’élevons pas suffisamment la voix de façon concertée.

Je suis très impatiente de voir comment se déroulera le Sommet Europe-Afrique, qui aura lieu à Bamako, me semble-t-il après le Sommet France-Afrique. Parce que je suppose que ce sera l’une des grandes questions à aborder. Je m’attendrais bien à ce que nos responsables africains puissent soulever ces problèmes et protester en demandant que des mesures plus humaines soient prises pour la dignité de leurs ressortissants.

S. : Vous avez dit que le Burkina Faso est bien côté en Autriche. Cela constitue aussi une réalité au niveau des institutions de Bretton Woods. Cependant le classement du PNUD nous donne un mauvais rang. Quels commentaires cela vous inspire ?

B.D. : J’ai aussi réfléchi à cela. Le rang qu’occupe le Burkina ne reflète pas sincèrement la réalité. Peut-être parce que les statistiques ne sont pas fiables, ou peut-être parce qu’on n’a pas les moyens de saisir les réalités. Mais aussi sans doute c’est parce que ce classement se base sur des critères qui sont les mêmes partout alors qu’il y a d’autres éléments qui pourraient être pris en compte. Si je prends par exemple au niveau économique, il s’agit de chiffres macro. On n’arrive pas à saisir au niveau microéconomique les réalités quotidiennes. Nous avons un secteur informel important, il y a plein de gens qui ne passent pas par les banques, etc., tout cela fait que c’est difficile d’évaluer.

Je me dis souvent qu’il faut ajouter un autre critère. Celui qui évaluerait le taux brut de bonheur des populations.

Beaucoup de gens, lorsqu’ils se fient à ce classement à l’extérieur, sont étonnés en arrivant au Burkina de constater que les gens ne vivent pas aussi mal, ne sont pas aussi misérables qu’ils le pensent. Je ne dis pas qu’il n’y a pas des pauvres. Nous sommes un des pays les plus pauvres au monde et ce serait manquer de sincérité que de ne pas le reconnaître. Mais si l’étude prenait en compte un certain nombre d’autres critères ou si elle arrivait à saisir certaines réalités qui échappent, notre rang pourrait être quand même amélioré.

Mais en tout état de cause, ce mauvais classement devrait être pour nous une raison de nous battre davantage. Et je reviens sur ce que je disais au début de l’entretien. Un grand défi à relever pour ce présent quinquennat est la lutte contre la pauvreté, en ayant à l’idée qu’il faut que dans 5 ans, le Burkina ait progressé dans l’ordre de classement des pays. Je pense que tout le monde en est conscient et l’on devrait s’atteler à améliorer cette situation.

S. : Quel est votre point de vue sur la crise ivoirienne qui perdure ?

B.D. : Ce matin en me levant (NDLR : l’interview a été réalisé le 23 novembre 2005), j’ai ouvert mon petit poste radio, que je ne quitte jamais, pour écouter les nouvelles avant toute chose. J’ai appris que malheureusement, la médiation des présidents du Nigeria, du Niger et de l’Afrique du Sud, mandatés par l’ONU au terme de la résolution 1633 du Conseil de sécurité, aurait échoué, à faire accepter un des deux sélectionnés comme Premier ministre.

Je me dis que la situation en Côte d’Ivoire est devenue depuis ces 3 dernières années, comme un vrai labyrinthe. Chaque fois que l’on croit avoir trouvé une issue, elle se referme. Cette issue semblait être vraiment l’ultime, sur laquelle tout le monde fondait espoir. Je ne sais pas comment les choses vont se passer dans les jours à venir, mais plus la situation de crise en Côte d’Ivoire va perdurer, plus le Burkina Faso sera handicapé face à ses ambitions au plan économique, social et au plan politique dans une certaine mesure.

Je suis quand même inquiète de ce qui va se passer, parce que normalement s’ils (les chefs d’Etat mandatés par l’ONU) arrivaient à faire accepter un Premier ministre, on pourrait espérer que le processus vers une élection présidentielle d’ici un an puisse se poursuivre et que la situation puisse se normaliser enfin.

En tant que Burkinabè, je suis de près comme tout le monde ce qui se passe en Côte d’Ivoire et je souhaite vraiment que tous les acteurs puissent assumer leurs responsabilités, devant ce peuple ivoirien qui souffre autant que nos compatriotes vivant là-bas, afin qu’une solution durable puisse être trouvée.

S. : Doit-on s’attendre à une partition de la Côte d’Ivoire ?

B.D. : Je n’ai peut-être pas une réponse à cela. Mais je ne le souhaite pas. Au niveau de l’Union africaine, on croit avoir résolu, avec l’ancienne OUA, la question des frontières héritées de la colonisation. Et à l’intérieur des pays, personne ne souhaite qu’il y ait des sécessions ou des partitions. Tel n’est pas mon souhait, et j’espère qu’on en arriverait pas là. Parce que si les Ivoiriens devaient rentrer dans cet engrenage, on en aurait encore peut-être pour des décennies de conflits et de malheurs.

J’espère qu’il n’est dans l’esprit de personne, que la partition soit une solution.

S. : L’échec de la médiation n’est-il pas imputable à l’ONU qui en prolongeant le mandat du président Gbagbo, n’a pas mis des garde-fous pour faciliter la nomination d’un Premier ministre ?

B.D. : C’est ce que disait à peu près le commentateur de la radio que j’écoutais ce matin. Mais je pense que dans l’esprit de ceux qui avaient proposé cela, c’était pour couper la poire en deux. Entre une transition et la prolongation du mandat de Gbagbo, c’était une solution, me semble-t-il médiane, qui semblait être sage. Peut-être que les autorités au pouvoir en Côte d’ivoire n’ont pas reçu le message de la même manière que ceux qui l’avaient envoyé. Et s’ils devaient recommencer, sans doute qu’ils y mettraient un peu plus de précision et peut-être plus de critères ou de conditions.

S. : Il y a un débat qui divise actuellement les Africains, sur la demande d’extradition d’Hissein Habré vers la Belgique pour y être jugé. Quel est votre point de vue ?

B.D. : Comme nous sommes dans un débat à cœur ouvert, je suis obligé de répondre. Ce que je pense et cela n’engage que moi, c’est que je ne vois pas d’un bon œil, qu’un tribunal d’un pays donné, qui plus est, d’Europe se donne la compétence de juger un ancien chef d’Etat africain, fut-il Hissein Habré, avec tout ce qu’on sait de lui. Je pense qu’il y a un Tribunal pénal international créé par la Communauté internationale et qui est compétent pour connaître de ce genre de chefs d’accusations. Pourqoui faut-il qu’il y ait une autre justice parallèle ? C’est la question que je me pose.

La suggestion que j’aurais faite, c’est qu’enfin, on laisse les Africains gérer leurs affaires et trouver leurs solutions. De plus en plus, c’est ce qui est revendiqué, au niveau de l’Union africaine dans un certain nombre de domaines : le maintien de la paix, la sécurité, le développement, (cf. le NEPAD). Il faut qu’on cesse d’infantiliser l’Afrique. Ce continent doit grandir et mûrir, se prendre lui même en charge et trouver ses solutions propres. Personnellement, je ne suis donc pas d’avis qu’on extrade Hissein Habré et qu’on l’envoie au tribunal de Bruxelles. Mais je ne veux pas dire, que je me fais son avocat. Sans doute qu’il devait être jugé, mais pas par ce tribunal.

S. : Les élections au Liberia ont porté à la tête de ce pays, Mme Ellen Johnson Sirleaf comme présidente. Quelles sont vos impressions par rapport à cette donne ?

B.D. : Evidemment, vous pouvez déjà deviner ma réponse (rires). j’applaudis pour le fait qu’il y ait une femme démocratiquement élue, chef d’Etat pour la première fois en Afrique. C’est une première qu’il faut saluer et reconnaître une certaine maturité des électeurs qui n’ont pas vu en elle, seulement la femme, mais qui ont plutôt vu en elle, une femme d’Etat, avec tout le potentiel et les capacités qu’elle avait.

J’espère donc qu’elle va pouvoir démontrer qu’une femme, y compris en Afrique, peut gérer le pouvoir d’Etat, je l’espère, à bonne fin. Surtout pour un pays qui a connu la guerre, le choix d’une femme est vraiment bienvenu. Parce que je l’ai toujours dit, les femmes aiment la paix et les femmes font la paix. Je pense donc que Mme Johnson réussira à consolider la paix dans son pays et à aller plus en avant dans le développement. Si vous le notez, derrière les conflits fratricides en Afrique ou ailleurs, vous n’avez jamais entendu parler d’une femme chef de guerre. Parce que les femmes sont plutôt pour des solutions pacifiques. De même derrière les coups de force ou coups d’Etat, vous n’avez jamais entendu dire que c’est une femme qui en est l’auteur ou qui tire les ficelles. Je pense donc que la femme a naturellement une âme pacifique et paisible.

S. : Et Simone Gbagbo ?

B.D. : (Rires dans la salle..). Elle n’a pas été candidate à ce que je sache à l’élection présidentielle dans son pays...

S. : Personnellement, cela vous tenterait d’être un jour candidate à la présidentielle ?

B.D. : Personnellement non. Cela ne me tente pas. Parce que je sais aussi que ce n’est pas facile.

S. : Sous quelle étoile est née Béatrice Damiba. Vous avez gravi rapidement les échelons de l’administration : rédactrice en chef, haut-commissaire, ministre, ambassadeur... Selon vous, cela est dû à quoi ?

B.D. : Je crois que c’est dû essentiellement à mes convictions, à mon attachement à un certain nombre de principes de vie, et à un certain nombre de valeurs. Mais par dessus tout, je pense que c’est dû à mon amour du travail et surtout du travail bien fait.

S. : Aujourd’hui vous êtes ambassadeur. Cela constitue-t-il pour vous le summum de votre carrière politique ou considérez-vous que ce poste est un placard doré ?

B.D. : (Rires...). Vous pourriez répondre à cette question sur la base de la définition de ce que je crois être "moi". Je suis au service de mon pays. Où qu’on me mette, je considère que c’est toujours un poste de combat. Je ne suis pas le genre de personne à baisser les bras où que je me trouve. Donc, je n’ai jamais considéré une position, comme un placard. Parce que tous autant que nous sommes, les quelque 11 à 12 millions de Burkinabè que nous sommes, nous avons tous quelque chose à apporter au pays.

C’est quelque fois aussi des concours de circonstance qui amènent les uns et les autres à occuper des positions. Parce qu’on ne sélectionne pas sur concours. Donc, il y a des gens tout aussi valables, parfois plus valables que d’autres, qui n’occupent pas de positions stratégiques, mais qui apportent, et vous tous ici, leur contribution à l’édification du Burkina de demain. Et donc, je ne me plains jamais de rien. Là, où l’on me met, je développe toutes les initiatives possibles pour faire le maximum et même pour valoriser la position occupée.

S. : Quel est l’état des relations en ce moment entre le Burkina Faso et l’Autriche ?

B.D. : J’avais un peu répondu à cela, en disant que les relations sont excellentes. Nous sommes dans des cycles de programmes indicatifs de coopération valables pour trois ans. L’actuel vient d’être approuvé au mois de mai dernier à Vienne, lors du séjour du ministre burkinabè des Finances et du Budget qui a rencontré la partie autrichienne pour renouveler cet engagement triennal.

S. : Lorsque vous étiez en Italie, vous aviez rencontré des problèmes avec des compatriotes qui s’y rendaient de façon désordonnée. Est-ce qu’en Autriche vous rencontrez les mêmes problèmes ?

B.D. : Les problèmes se posent vraiment différemment parce que les Burkinabè vivant en Autriche ne sont pas nombreux. Nous n’avons pas des statistiques vraiment précises, mais on estime qu’ils ne sont pas plus d’une centaine en Autriche. Alors qu’en Italie, ils étaient des milliers. Donc déjà, le problème se pose différemment.

Ensuite, ils n’occupent pas la même position sociale ou professionnelle, car la plupart des Burkinabè d’Autriche, sont des personnes qualifiées professionnellement. Donc qui travaillent de façon régulière, il n’y a pas de clandestins comme en Italie.

Ils travaillent avec des contrats officiels, ils vont et viennent librement puisqu’ils ont tous les papiers. Cela nous pose, effectivement moins de problèmes à l’ambassade. Un certain nombre d’entre eux, ont d’ailleurs acquis la nationalité autrichienne. Je n’ai vraiment pas à me plaindre de la communauté burkinabè vivant en Autriche.

S. : Est-ce qu’à un moment donné vous n’avez pas été tiraillée entre votre engagement dans l’ODP/MT et le fait qu’un de vos parents, Pierre Claver Damiba était candidat à la présidentielle en 1991 ?

B.D. :Je ne sais pas quel âge vous aviez (rires dans la salle...), mais peut-être qu’en cherchant dans les journaux de l’époque, vous pourriez lire quelques articles qui avaient été écrits à ce sujet et même une grande interview que j’avais accordée à l’Observateur. Je pense que les uns et les autres avaient salué la démocratie au sein de notre famille : le grand frère était candidat à la présidence et la petite sœur soutenait un autre candidat. Nous avions fait la preuve que l’on peut distinguer les liens de sang et l’appartenance politique.

D’aucuns n’avaient pas compris ou avaient mal compris cela. Mais par la suite, je crois que tout le monde a compris et beaucoup nous ont donné raison. Parce que je suis une personne indépendante. Je jouis des libertés d’opinion, de pensée, de religion comme tout Burkinabè et donc il n’y avait pas de raison que je renie mon appartenance politique pour soutenir mon frère. Mais cela n’a pas entamé un seul instant notre fraternité jusqu’aujourd’hui.

Je vous remercie d’ailleurs d’être revenu sur ce sujet, parce qu’effectivement au Burkina, les gens pensent que dans une même famille, on doit faire du suivisme. On ne milite pas dans un parti, parce que le mari, le père, la mère, le frère ou la sœur est dans le parti. Cela doit se faire sur d’autres bases, sur des choix personnels.

S. : Cette même situation est venue par la famille Yaméogo. Pendant que le petit frère s’engageait à soutenir le président sortant, le grand frère se présentait comme un autre candidat. Quelle commentaire faites-vous de cela ?

B.D. : De toute façon dans leur famille ils s’étaient déjà séparés parce qu’ils étaient avant dans le même parti. Ce qui n’était pas le cas avec mon frère. Donc, c’est déjà différent. Eux, ils étaient dans un même parti, ils ne se sont pas entendus et le petit frère a claqué la porte. Ce n’est pas étonnant qu’il aille soutenir quelqu’un d’autre du moment qu’il a opté pour autre chose.

Mais, une fois de plus, c’est la preuve que la démocratie commence d’abord dans les petites cellules, notamment familiales. Au sein d’un service, comme le votre, nous pouvez avoir des opinions différentes, mais vous devez travailler ensemble. Ces petites cellules doivent refléter la démocratie et c’est ainsi que le pays peut refléter aussi cette démocratie. Il faut cette tolérance et je ne peux que me réjouir que cela puisse faire tâche d’huile dans le pays. Il faut être courageux et exprimer ses opinions même si elles sont en contradiction avec celles d’un parent direct.

S. : Comment vous sentez-vous dans le CDP, avec des gens que vous avez combattu hier ?

B.D. : Je pense que tout parti politique évolue. Il arrive qu’il change de nom. Vous le voyez en France et un peu partout. Chemin faisant, il y a des alliances qui se tissent. Cela a été le cas du passage de l’ODP/MT au CDP aujourd’hui. Je ne peux que me réjouir de l’élargissement du parti et de son renforcement par des apports nouveaux. Ce qui veut dire que beaucoup d’autres personnes ont vu dans les objectifs poursuivis par le parti, des objectifs correspondant à leur propre vision de la société. Donc, je ne peux que me sentir fier d’avoir été toujours là depuis si longtemps.

S. : Etre engagé en politique, c’est avoir des ambitions, quelles sont les vôtres ? Et quelles sont les difficultés particulières pour une femme engagée en politique ?

B.D. : Je reconnais que c’est plus difficile pour une femme de s’engager en politique que pour un homme. L’histoire du monde illustre bien cela. Pendant très longtemps, les femmes étaient restées à l’écart de la politique, de la gestion des affaires de l’Etat. Mais depuis un certain temps, il y a quand même une évolution. Les femmes sont maintenant acceptées dans la vie de la nation. Avant elles ne pouvaient même pas voter. Elles n’avaient pas le droit de vote à plus forte raison de se présenter aux élections. C’est encore récent même dans les pays développés.

Donc, c’est difficile quoiqu’on dise, il faut braver un certain nombre de préjugés sociaux, d’obstacles, surtout socio-culturels dans les pays comme les nôtres. Une femme, est appelée à avoir des enfants, à s’occuper de l’éducation ceux-ci et de la maison. Plus que l’homme, la disponibilité de la femme peut poser problème pour son engagement.

Néanmoins, je pense que de nos jours, ce n’est plus du tout étrange pour qui que ce soit de voir une femme engagée en politique.

Personnellement, moi j’ai réussi à concilier cet engagement avec mes autres obligations de mère, notamment. Et quant à ce que pensent les traditionalistes, je dois me mettre au-dessus de la mêlée. Car il faut pouvoir s’affranchir et s’affirmer. Et je n’ai jamais eu vraiment de problèmes par rapport à mon statut de femme.

S. : Avez-vous des ambitions ?

B.D. : Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, le sens de mon engagement est que je puisse être à même d’apporter le maximum de moi-même à ce pays que j’aime beaucoup. Donc, mon combat est dénué de toute ambition personnelle. Mon ambition, c’est l’ambition de mon pays. J’ai une ambition pour le Burkina, mais pas pour moi. Je voudrais que le Burkina Faso se hisse à un certain niveau, qu’on ait résolu un certain nombre de problèmes, santé, éducation, etc.

S. : A une échelle plus restreinte qu’avez-vous fait pour Koupéla, votre ville d’origine depuis que vous êtes ambassadeur ?

B.D. : Je dois d’abord dire qu’on n’est pas ambassadeur pour son village, ni pour son département, ni pour sa province, on est ambassadeur pour son pays. On œuvre pour renforcer les relations, les partenariats divers au profit de l’ensemble du pays. Evidemment si je reçois des requêtes de ma province ou du département, je vais les considérer de la même manière que d’autres requêtes.

J’avais pu avoir même si cela n’a pas bien marché, un jumelage en Italie pour Koupéla. Mais pas seulement pour Koupéla, puisqu’on en avait eu pour d’autres localités également. Quelques associations ont pu bénéficier aussi de petits financements pour des projets de développement. Et je me suis réjouis que certaines ONG italiennes aient choisi le Kourittenga. Mais cela se situe plus dans le cadre du diocèse de Koupéla.

Il y a eu plusieurs ONG italiennes qui sont intervenues, pas parce que je les avais orientées, mais dans le cadre des rapports avec le diocèse. Les gens vont trouver même que je n’ai pas fait assez pour Koupéla parce que justement, je n’ai jamais voulu privilégier outre mesure, mon village d’origine par rapport aux autres.

S. : Il semble que Pouytenga a des élans "sécessionnistes et veut à part entière être province". Le confirmez-vous ?

B.D. : D’où venez-vous ? (rires). Non pas du tout. Lors de mon présent séjour, j’ai pu participer à des rencontres des responsables politiques de tous les départements de la province du Kourittenga, y compris donc de Pouytenga. Je n’ai pas ressenti cet élan sécessionniste. Je pense au contraire que tout le monde travaille à apaiser les tensions qu’il y a eu à Pouytenga ces dernières années. Des tensions, il y en a eues, je ne peux le nier. Mais de là à parler de sécession, je ne crois pas. Déjà la province du Kourittenga n’est pas très grande, si on doit avec cela couper Pouytenga, je ne sais pas ce que ça donnerait. Non, je ne peux pas confirmer cette impression.

S. : Vous avez été la première rédactrice en chef de Sidwaya. Quel souvenir gardez-vous de votre séjour au sein de cette rédaction ?

B.D. : Je peux beaucoup plus parler du Bulletin quotidien, de Carrefour Africain et seulement ensuite de Sidwaya. Parce que nous avions créé Sidwaya en 1984 et c’est quelques mois après que j’ai été nommée haut-commissasire. Je suis arrivée dans cette maison (Sidwaya aujourd’hui) en 1979. A l’époque, nous n’avions que le Bulletin quotidien. Le Bulletin quotidien, savez-vous ce que c’est ? (Adja ! (rires). C’était quelques pages agrafées tirées à partir de stencils tapés avec des machines mécaniques.

Il y avait également le Carrefour africain qui, lui au moins était imprimé à l’imprimerie nationale. Nous avons travaillé dans des conditions très difficiles. Mais ce n’est pas tant les conditions de travail que le fait que le contexte politique n’était pas comme maintenant. Aujourd’hui, il y a un pluralisme médiatique, les journalistes écrivent, font des analyses sans qu’on ne leur demande tous les jours des comptes. On m’a dit à l’époque : "Ecoutes, tu viens d’arriver, nous nous sommes là depuis longtemps ; il faut faire comme tout le monde". J’ai dis non. Parce que j’estime que j’ai fais une formation universitaire pour être journaliste. Je ne suis pas allée apprendre le travail pour revenir faire autre chose. Nous nous sommes donc organisés pour faire une sorte de révolution dont vous jouissez des bénéfices jusqu’aujourd’hui.

Mais plusieurs fois j’ai fais l’objet de menaces de certains membres du gouvernement. Heureusement, j’avais le soutien des aînés qui ont dit de me laisser travailler comme je l’ai appris. Ensuite, il y a eu Sidwaya au temps de la révolution. A l’époque, il y avait un seul quotidien imprimé : L’Observateur.

Nous avons donc eu l’idée de lancer un quotidien qui se respecte à la place du B.Q. C’est ainsi que nous avons lancé un appel aux lecteurs pour nous aider à trouver le titre du journal. Nous avons reçu beaucoup de propositions y compris les propositions de la rédaction. En procédant par élimination, nous avons finalement retenu le titre "Sidwaya". Nous voulions qu’il soit un journal qui reflète vraiment la vérité et l’objectivité.

Le souvenir que je garde, c’est l’enthousiasme pour ce journal qui venait de naître et cette passion pour le travail. Parce que le rythme était brusquement accéléré. Ça n’a pas été facile. Malheureusement, j’ai gardé également un mauvais souvenir. Nous avions eu des discussions avec la direction de l’époque, qui n’acceptait pas l’expression libre. C’est pourquoi je dis qu’il y a eu une grande évolution aujourd’hui. Il y avait une censure au niveau de la direction que je combattais et c’était là toute la difficulté. Mais c’est de tout cela que sort un meilleur produit.

S. : Comment avez-vous pu gérer cette rédaction composée essentiellement d’hommes ?

B.D. : Pour moi, c’était des journalistes. Que l’on soit homme ou femme, on est journaliste. Je n’ai pas eu de problème avec l’équipe. J’avais de bons rapports avec tout le monde, et ils ont respecté également le fait que j’étais rédacteur en chef parce que j’étais quand même la plus ancienne en terme de niveau de formation.

S. : Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur Sidwaya ?

B.D. : Je suis très contente du travail que vous faites. Je suis fière de ce qu’est devenu Sidwaya que tout le monde s’arrache. C’est la preuve que Sidwaya a conquis une place de choix dans le paysage médiatique du pays et qu’il n’a rien à envier à d’autres titres notamment privés. Il peut se comparer à tout quotidien de la sous-région et même international. Le journal a une bonne tenue dans sa forme et son contenu, même s’il reste toujours des choses à améliorer.

Je me suis laissée dire que le journal s’en sort avec des recettes consistantes. Quand j’étais ministre de l’information, nous avons créé les "Editions Sidwaya" avec l’ambition de ne pas imprimer seulement le journal, mais de pouvoir également éditer des livres et faire des prestations de services extérieurs. Je pense que tout cela a permis au journal aujourd’hui d’avoir des recettes substantielles. Même si cela ne lui suffit pas entièrement pour le moment, l’ambition c’est de pouvoir se passer un jour des subventions et de pouvoir conquérir cette liberté grandissante en son sein.

S. : Avec vos fonctions actuelles, avez-vous toujours le temps de penser un peu à la profession ?

B.D. : Oui. C’est d’ailleurs cette formation et cette expérience de base que j’ai acquises qui me guident dans mes différentes fonctions. Que ce soit lorsque j’étais haut-commissaire, ministre et maintenant ambassadeur, cette formation de base m’inspire beaucoup. Dans toutes les actions de l’homme, il y a la communication. Je suis une personne de communication facile. Ce qui m’aide beaucoup en tant qu’ambassadeur parce qu’il faut savoir créer les relations pour mener à bien cette fonction.

En tout cas, tous les jours que Dieu fait, je me félicite d’avoir eu cette formation et cette expérience. Quand j’étais ambassadeur en Italie, j’avais créé un bulletin qu’on diffusait gratuitement à la communauté burkinabè, aux partenaires, à nos vis-à-vis au niveau des Etats de la juridiction dans le milieu diplomatique et au Burkina. J’étais en quelque sorte le directeur de publication puisque je dirigeais personnellement l’élaboration et la publication de ce bulletin.

A Vienne, cela fait partie de nos projets. Si jusqu’aujourd’hui nous n’avons pas pu le réaliser, c’est parce que nous manquons sérieusement de personnel. Cette profession qui me colle à la peau, fait que je me suis toujours sentie très proche des journalistes dans les pays où je me trouve. J’ai toujours essayé d’avoir un réseau de contacts avec des journalistes du pays pour faciliter la diffusion de l’image du Burkina Faso.

S. : Est-il facile pour un journaliste d’être diplomate ?

B.D. : Je crois. Communication et diplomatie sont toutes deux des professions de relations publiques. C’est donc un atout que d’être journaliste.

S. : Du langage journalistique à la langue de bois, ce n’est pas très évident. Comment faites-vous ?

B.D. : C’est exact. Quand j’ai été nommée ambassadeur pour la première fois, c’est ce que j’ai dit. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes règles mais, je voudrais toujours pouvoir dire ce que je pense. On peut toujours dire les choses, mais il faut savoir les enrober. On peut, sans avoir la langue de bois, ne pas être aussi très direct. C’est ce que j’essaie de faire. Ne pas taire mes convictions, mes pensées mais, sans toutefois heurter ou violer certaines règles de la diplomatie.

S. : Quelle est votre appréciation sur l’évolution de la presse au Burkina ?

B.D. : La presse a fait un grand chemin. Que ce soit au niveau de la presse écrite, ou au niveau de l’audiovisuelle, je constate qu’il y a un très large pluralisme de titres, de radios et même de télévisions. Quand on regarde ce qui se passe dans d’autres pays, où pour un rien on enferme des journalistes, je crois qu’au Burkina , on a atteint un niveau qui permet aux médias de s’exprimer librement. Cela dit, il faut toujours rechercher à coller à la déontologie. Ce qui n’est pas toujours le cas.

Contrairement à ce que les gens pensent, n’est pas journaliste qui veut. C’est une profession comme une autre qui a ses règles. S’il y a des insuffisances, c’est lié au fait que le professionnalisme n’est pas toujours constaté. On doit mettre l’accent sur la formation des journalistes même si c’est sur le tas. Quelquefois on lit des articles sans trouver des réponses aux questions de base (qui fait quoi, où quand, comment et pourquoi).

Le conseil que je donne aussi, c’est qu’il faut penser aux lecteurs de l’étranger. Par exemple, quand on emploie des sigles, il faut les développer parce qu’à l’étranger on ne sait pas toujours à quoi cela renvoie. Sinon, dans l’ensemble, on doit pouvoir être fier de ce qu’est la presse burkinabè.

S. : Joseph Kahoun, Luc Adolphe Tiao et bien d’autres avec lesquels vous avez fait les beaux jours de Sidwaya occupent aujourd’hui de hautes fonctions dans la communication. Peut-on dire que c’est la génération Béatrice Damiba qui gère la communication au Burkina ?

B.D. : La génération Béatrice Damiba ! (Rires). Vous oubliez Mahamoudou Ouédraogo... Cela arrive par vagues. Peut être que nous, nous sommes au début de la pente descendante pour laisser la place à nos plus jeunes frères et sœurs. Il arrive qu’à un moment donné, des promotionnaires arrivent ensemble à des niveaux de responsabilité. Parce que dans une carrière, il y a le début, le sommet et la fin. C’est dans une tranche d’âge qu’on prend les responsables et il arrive donc que ceux qui ont fait la même vague se retrouvent ensemble à des postes de responsabilité. Il n’y a rien d’étrange à cela.

S. : Pensez-vous qu’un organe de régulation comme le conseil supérieur de la communication (CSC) au Burkina Faso est utile dans notre contexte de démocratie libérale et de pluralisme de la presse ?

B.D. : C’est un instrument indispensable. J’ai beaucoup de contacts avec M. Tiao. Je sais que l’expérience du Burkina est très appréciée par les autres organes de régulation de l’étranger. Récemment à l’occasion des élections, s’il n’y avait pas ce code de bonne conduite élaboré par le CSC, ça aurait été la jungle. C’est un instrument d’accompagnement des médias qui existe même dans les pays développés. Parce qu’il y a toujours une nécessité de contrôle pour veiller à ce que les règles acceptés par tous puissent être respectées. C’est un organe qu’il fallait créer s’il n’existait pas.

S. : Entre le journalisme et la politique, il n’y a pas de frontière dit-on. Selon vous, où se situe la limite ?

B.D. : Quelle que soit la neutralité proclamée par un journaliste, quelle que soit l’objectivité défendue par un journaliste, c’est impossible de commenter un événement ou d’écrire un article sans y mettre un peu de soi. Cette opinion peut être politique, religieuse ou autres. Il transparaît toujours la personnalité de l’auteur à travers ses écrits. Ne croyez pas par exemple que les dépêches de l’agence France presse (AFP) que vous recevez sont neutres. C’est le tort de certains qui pensent que les dépêches sont incolores et ne les réécrivent pas.

Aucun journal ne peut se dire neutre. Il peut être lié à un courant politique, une idéologie ou à une puissance d’argent. Personnellement, je préfère être liée à un courant politique qu’à une puissance d’argent. Parce que je ne veux pas être payée pour écrire ce qu’on veut que j’écrive, mais je veux écrire en âme et conscience, je peux colorer l’article de mon point de vue. Le journalisme et la politique peuvent bien aller ensemble. Cependant, si on n’est pas dans un journal de parti ou d’opinion tranchée, chacun doit pouvoir dire ce qu’il pense comme c’est le cas dans Sidwaya qui est un journal d’Etat, de service public. Il est impossible d’écrire un article complètement neutre.

S. : Le journalisme mène à tout dit-on. Est-ce que vous partagez cette opinion ?

B.D. : C’est vrai. C’est la preuve qu’un journaliste de par sa profession est plus visible qu’un enseignant ou un ingénieur. C’est cela qui augmente peut être la probabilité qu’il soit appelé à certaines fonctions. Sa personnalité également transparaît à travers son travail et donc on peut facilement le repérer.

S. : De votre brève carrière de journaliste, que retenez-vous pour les générations futures ?

B.D. : Ma carrière n’a pas été brève (rires). Elle a été intensive dans sa phase active. Je considère que je suis toujours journaliste et vous n’allez pas me refuser cela... (rires). Le conseil que j’ai à donner aux générations futures, c’est de rechercher l’excellence dans ce qu’elles font. Il faut être soi même, ne pas se laisser influencer par l’appât de l’argent. Malheureusement cela existe : les reportages juteux, le gombos frais etc. Moi je n’ai pas connu de reportages juteux. Il faut persévérer pour qu’un jour vous puissiez dire que vous avez contribué à l’évolution de la presse. Il faut que chacun puisse laisser quelque chose qui rappelle son passage.

Il faut chercher à améliorer son rendement. Ce qu’on apprend à l’université ne suffit pas. Il faut élargir ses connaissances par beaucoup de lecture et de curiosité. Cela manque dans certains articles et reflète une ignorance, une méconnaissance du présent ou du passé. Un journaliste est quelqu’un de très cultivé. Il doit pouvoir dire quelque chose sur tout. Par exemple, j’ai appris l’utilisation du laser et son application en médecine en étudiant à l’école de journalisme. Et il faut continuer la formation post universitaire de par soi-même.

S. : Entre la goyave, les poulets "mademoiselle", le dolo, qu’est-ce qui le plus vous manque à Vienne ?

B.D. : Tout me manque. Je me contente de boire le jus de goyave en bouteille. Le poulet mademoiselle, je me le fais envoyer régulièrement. Le dolo, je le substitue par le vin. Donc vous voyez que je reste toute koupéléenne bien qu’étant à Vienne (rires).

S. : Quelles sont vos occupations non officielles ?

B.D. : J’ai peu de temps non officiel. Mais j’aime tenir ma maison, faire la cuisine. Quand j’étais à l’université, j’avais le titre de cordon bleu. Je suis curieuse sur toutes les cuisines du monde. Avant tout, je suis très attachée à mes enfants, à ma famille. Lors de mes séjours ici, je passe beaucoup de temps avec ma famille. En terme de loisir, j’aime beaucoup la lecture. J’ai une boulimie des livres.

S. : Combien de fois avez-vous rencontré le pape Jean-Paul II ?

B.D. : J’ai rencontré le pape Jean-Paul II et lui ai serré la main quatre (4) fois. Ce qui faisait dire aux gens que j’avais mes entrées au Vatican. J’ai également pu obtenir des audiences avec le pape pour beaucoup de Burkinabè, des membres de ma famille etc. J’avais de bons rapports avec le Vatican. Je n’étais pas accréditée auprès du Vatican parce que les accords de Latran de 1929 interdisent le cumul des accréditations sur place (Italie et Vatican). C’est notre ambassadeur à Paris qui est accrédité auprès du Saint-Siège.

La rédaction
Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 2 décembre 2005 à 13:16 En réponse à : > Béatrice Damiba, ambassadeur du Burkina Faso en Autriche : "Je suis un soldat de Blaise Compaoré"

    Madame,l’etat du droit dans le pays d’ou vous venez(l’Autriche) se semble pas vous avoir grand chose sur la democratie et la transparence.Comment peut-on imaginer la transparence avec toute la disparite qui prevaut entre les forces politiques en presence,cela est synonyme d’equite et democratie,toute chose incompatible avec la democratie.J’ai par contre apprecie les propos de Juliette B. qui comprend qu’il y a des remedes indispensables auxquels la "democratie burkinabe" doit se soumettre.
    Madame,s’il ya une chose dont vous semblez vous rappeler c’est bien de rester une soldate et au demeurant,je pense que cela vous va a merveille.Bonne chance dans votre armee.

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