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AFFAIRE HISSENE HABRE : La Justice belge est-elle si compétente ?

Publié le mardi 29 novembre 2005 à 07h55min

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Ce qu’il était convenu d’appeler l’affaire Hissène Habré avait fait le tour du monde et alimenté les conversations dans les palais présidentiels africains et les chancelleries occidentales. Elle était même sur le point de mettre à rude épreuve les relations belgo-sénégalaises tant les pressions sur Abdoulaye Wade étaient si fortes et si nombreuses que ce dernier avait décidé de s’en référer à l’Union africaine.

Ceux qui s’attendaient à la signature du président sénégalais pour extrader Habré, en ont eu pour leur compte. En effet, l’acte d’accusation n’a pas dépassé le cadre de la Cour d’appel de Dakar qui s’est déclarée incompétente pour juger de l’extradition, vers la Belgique, de l’ex-président tchadien, extradition réclamée par la Justice belge pour "violations massives des droits de l’homme" lors de son passage au pouvoir. La décision de cette juridiction sénégalaise a même été accueillie par des cris de joie et des applaudissements de personnes présentes dans la salle, et hostiles à l’extradition de Hissène Habré. Qu’on soit partisan ou contre cette extradition, l’Afrique devrait dans son ensemble, en dehors de toute attitude subjective, trouver des solutions endogènes à ses problèmes, plutôt que d’être toujours à la remorque de l’extérieur, et de se laisser séduire par des modèles importés, fussent-ils de l’Occident. Plutôt que d’admirer et d’avoir foi en la Justice occidentale, le génie de l’Afrique peut l’aider à se doter d’une Justice crédible car, le bon exemple ne vient pas toujours de l’extérieur. L’Afrique précoloniale avait des formes très élaborées de justice.
Dans une de nos précédentes éditions, nous nous inscrivions en faux contre cette justice occidentale à deux vitesses. Celle des vainqueurs qui innocente des génocidaires, des criminels et des violeurs des droits de l’homme au grand jour en imposant à la communauté internationale (la Justice belge à compétences universelles y comprise), la légitimation de leurs forfaits à l’échelle planétaire tout en exigeant des autres de s’agenouiller devant leurs juges. Les erreurs judiciaires ne sont pas le seul apanage de l’Afrique.
La question qui se pose n’est pas de savoir si Habré est réellement coupable des crimes dont il est accusé. De toute façon, l’histoire ne suspend jamais sa marche et elle a le temps de rattraper tout coupable devant elle, même dans sa tombe. On a vu des procès posthumes, qui ont abouti à la condamnation des coupables.
D’ailleurs l’acharnement avec lequel la Justice belge exigeait et continue à exiger le rapatriement de l’ancien président est suspect. Il est vrai qu’en quinze ans, il est possible que la Justice belge ait pu disposer de tous les éléments d’appréciation pour meubler le dossier Habré. Mais un problème demeure. Faut-il, au nom de cette soif de justice, créer d’autres cas d’injustice en laissant courir d’autres coupables parce qu’ils bénéficient de l’immunité liée à leurs fonctions ?
En d’autres termes, peut-on extirper le cas Hissène Habré d’un ensemble de situations de violations des droits de l’homme à l’époque où il partageait le pouvoir avec d’autres acteurs dont l’actuel président tchadien ? Hasard de calendrier ou simple coïncidence (troublante), Idriss Déby était en visite officielle à Bruxelles le jour où la Justice sénégalaise devait se prononcer sur le sort de Habré. Il a profité de l’occasion pour supplier Wade de signer le fameux décret en question. Bien qu’il s’en défende, Idriss Déby avait jusque-là gardé le silence face à une éventuelle extradition de Habré vers la Belgique. A-t-il subi des pressions de la part des autorités belges ? Cela n’est pas exclu, surtout si le président tchadien était à Bruxelles pour solliciter de l’aide pour son pays empêtré dans des difficultés financières, malgré la manne pétrolière dont la gestion mafieuse a mis récemment aux prises autorités et citoyens constamment privés de salaires. N’était-il pas plus simple et plus logique de demander l’extradition Habré au Tchad ?
En se déclarant incompétente pour statuer sur le sort de Habré, la Justice sénégalaise, malgré les multiples pressions intérieures et extérieures, prouve son indépendance et donne à réfléchir aux justiciers occidentaux prêts à tirer à boulets rouges sur les juridictions africaines accusées d’être inféodées aux pouvoirs en place. On pourrait rétorquer que la Justice, même celle des démocraties dites de souche, sont plus ou moins, à quelques exceptions près et toutes proportions gardées, des appendices des pouvoirs publics.
La position de la Belgique pouvait être comprise des Africains si elle n’avait pas exercé des pressions sur le Rwanda pour obtenir l’extradition de ce prêtre supposé coupable de génocide, et que Bruxelles ne voulait pas voir livré à la Justice des Nègres. S’il est évident que toute décision de justice laisse un goût amer à ceux qui souhaitaient voir le cours des événements évoluer dans le sens de leurs désirs, il n’en demeure pas moins que la Justice sénégalaise a fait preuve d’indépendance en évitant de tomber dans le piège d’une affaire qui a pris des allures plus politiques que judiciaires.
Le cas Hissène Habré suscite un certain nombre d’interrogations et de réflexions sur le comportement des Occidentaux. Cette attitude dénote des relents néocolonialistes. Il faut laisser l’Afrique assumer ses responsabilités. Une fois de plus, l’Occident infantilise les Africains et insulte son intelligence. Lorsque des militaires français avaient cambriolé la BCEAO en Côte d’Ivoire, la France n’avait pas cru nécessaire de les faire juger là où le crime a été commis, par une juridiction des Etats membres. Pourquoi vouloir juger Charles Taylor par le Tribunal spécial de Sierra Leone, et ne pas créer une juridiction semblable en Afrique ?
Même si on peut déplorer la manière rocambolesque dont le verdict a été rendu à propos de l’affaire du Beach au Congo Brazza, il faut reconnaître que sa tenue dans ce pays a eu une valeur pédagogique. Les Congolais ont suivi ce procès, et chacun d’eux a pu faire une idée de son déroulement. Du reste, il faut reconnaître qu’aucune Justice n’est née impartiale. Et comme le font remarquer des spécialistes en la matière, elle élabore des mots et des règles qui finissent par se retourner contre l’arbitraire. En se montrant peu empressés de voir Habré traduit en Justice en Afrique, les autorités de Ndjaména ont peur que leur acharnement pour le jeter en prison, comme un jeu de miroir, se retourne contre eux. Pour l’instant, Abdoulaye Wade maintient sa décision de consulter l’Union africaine. En attendant, Hissène Habré est placé en résidence surveillée.

"Le Pays"

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