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Le premier quinquennat de Blaise Compaoré sera placé sous le signe de la recomposition de l’Afrique de l’Ouest

Publié le vendredi 25 novembre 2005 à 08h56min

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Compaoré, A.T.T et Gbagbo

C’est fait. De belle manière. Avec plus d’ampleur encore que je ne l’avais estimé. Blaise Compaoré a été réélu à la présidence du Faso avec 80,30 % des voix. Il devance maître Bénéwendé Sankara, président de l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (UNIR/MS), qui frôle la barre des 5 % (4,94 %). Rien d’inattendu.

Une réélection qui ouvre de nouvelles perspectives au Burkina Faso en Afrique de l’Ouest. Il n’est pas un chef d’Etat francophone qui puisse y revendiquer une telle position.

De Nouakchott (avec un chef d’Etat issu d’un tout récent coup d’Etat) à Cotonou (où Mathieu Kérékou est à quelques mois de la fin de son dernier mandat - cf LDD Bénin 0 12/Ve ndredi 18 novembre 2005), de Conakry (où la déliquescence du régime en place est de plus en plus totale) à Niamey (où le président Tandja est confronté à de multiples difficultés économiques, politiques, sociales) en passant par Dakar (Abdoulaye Wade est à la veille de deux échéances majeures : les législatives en 2006 et la présidentielle en 2007), Bamako (Amadou Toumani Touré est président jusqu’en avril 2007 mais la classe politique, déjà, s’agite) et Lomé (où le tandem Faure Gnassingbé-Edem Kodjo est bien silencieux). Reste Abidjan où tout le monde fait semblant de croire qu’une élection présidentielle peut être organisée d’ici moins d’un an (ce sont les mêmes qui affirmaient, il y a quelques mois encore, que la présidentielle d’octobre 2005 aurait bien lieu !).

Avec un chef d’Etat au pouvoir depuis 1987, élu démocratiquement face à l’ensemble des partis de l’opposition, à la tête d’un pays qui a su s’imposer sur la scène africaine et internationale, qui bénéficie d’une croissance significative et peut revendiquer la plus forte population en Afrique francophone de l’Ouest (avec 13 millions d’habitants, le Burkina Faso arrive en deuxième position derrière la Côte d’Ivoire qui compte 17 millions d’habitants mais environ un quart de ceux-ci seraient d’origine burkinabè et si on y ajoute la diaspora burkinabè en Afrique de l’Ouest cela ferait pas loin de 20 millions de personnes !), le Burkina Faso est en position de s’imposer comme un pôle majeur en Afrique de l’Ouest. C’est ce que semble exprimer Compaoré quand il déclare (cf LDD Burkina Faso 092/Jeudi 17 novembre 2005) : "Le Burkina est présent dans sa région et il y prend des positions. C’est normal".

Ce qui veut dire, aussi, que pour Ouaga la crise qui perdure à Abidjan est plus que jamais inacceptable. Et qu’il est urgent pour ceux qui affirment être en mesure de lui trouver une issue d’y parvenir. La Côte d’Ivoire est "l’usine" de l’Afrique de l’Ouest ; en chômage technique. Cette situation influe directement sur la bonne santé économique du Burkina Faso : moins de transferts financiers entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ; moins de commerce entre les deux pays. Il y a, également, un effet indirect : les pays voisins de la Côte d’Ivoire qui, eux aussi, subissent le contrecoup de la crise, échangent moins avec le Burkina Faso.

Et, au-delà, il y a un risque majeur : compte tenu de la frontière commune entre le Burkina Faso et le Nord de la Côte d’Ivoire, il y a une tendance affirmée à une "criminalisation" des relations commerciales entre les "rebelles" et les opérateurs économiques burkinabè. Or la crédibilité internationale du Burkina Faso, qui ne dispose pas de ressources naturelles stratégiques, est liée à la rigueur de sa gestion politique et économique. Accepter trop de zones grises dans son économie (reproche qui lui a été fait par le passé) serait un risque que le pays ne peut pas assumer.

Il faut s’attendre à ce que Ouaga hausse le ton vis-à-vis d’Abidjan et des institutions internationales qui ont pris en charge ce dossier et n’ont pas été capables d’y apporter une solution. Un haussement de ton d’autant plus justifié que les responsables politiques burkinabè ont joué la carte du non-affrontement au cours des trois années passées. Sans pour autant jamais baisser la garde et cesser de dénoncer rigoureusement les atteintes aux droits de l’homme vis-à-vis de la communauté burkinabè en Côte d’Ivoire. Compaoré est réélu ; Gbagbo est "maintenu". Les temps changent ; le ton change.

Compaoré n’a jamais caché que la crise ivoirienne était largement imputable au comportement de Gbagbo ; et qu’il n’y avait pas d’autre issue à cette crise que le départ de son principal instigateur. Il n’avait pas manqué non plus de souligner que, connaissant Gbagbo mieux que quiconque, il savait que celui-ci irait jusqu’au bout, c’est-à-dire qu’il n’hésiterait pas à se lancer dans la politique du pire : c’est fait depuis longtemps.

Il avait même affirmé que ce qui "pendait au bout du nez" de Gbagbo c’était une mise en accusation devant le Tribunal pénal international. La Côte d’Ivoire s’est habitué au pire : le Nord face au Sud ; les meurtres et les viols politiques ; les exactions diverses et quotidiennes ; le détournement des fonds publics pour financer ce qu’il faut bien appeler l’effort de guerre d’Abidjan, etc.

Mais, hormis les dommages économiques, la sous-région n’a pas encore eu à subir le pire : une confrontation armée entre pays d’Afrique de l’Ouest ! Ce ne serait pas, bien sûr, une déclaration de guerre entre Etats mais la création d’une situation conflictuelle inéluctable.

Abidjan avait déjà envisagé, en 2004, une tentative de reconquête du Nord en violation de l’espace aérien ghanéen et burkinabè. A Ouaga, les responsables politiques et militaires avaient fait savoir aussitôt que ce serait inacceptable et que la risposte serait immédiate. La détermination est plus grande encore aujourd’hui et Compaoré, fort de ses 80 % à la présidentielle, pourrait montrer les crocs.

D’autant plus qu’à Ouaga personne ne parierait cent francs CF A sur la bonne application de la résolution 1633 du Conseil de sécurité. Le message vient d’être transmis, aujourd’hui, lundi 21 novembre 2005, par Compaoré. Pas Blaise mais Simon, le maire de Ouaga. Dans un entretien accordé à la journaliste ivoirienne Eugénie Agoh, il met clairement en cause Gbagbo dans la persistance de la crise ivoirienne. Il dénonce la "bêtise" de ceux qui prônent "l’ivoirité" et l’exclusion des Burkinabè.

Comportement d’autant plus inexcusable quand il est celui d’universitaires, d’historiens, de "progressistes ". C’est "cultiver la haine entre les peuples" et mettre le feu à l’Afrique. "Il suffit d’une seule personne pour brûler tout un pays [...] L’Histoire sera très sévère pour ceux qui se seraient amusés avec cette question".

Après avoir montré Gbagbo du doigt et l’avoir menacé de la sanction suprême, Simon Compaoré s’en prend à la résolution 1633 du Conseil de sécurité. "Solution bâtarde" dit-il. "On prolonge d’un an la durée du mandat du président de la République, qui devient chefde l’Etat. Il
jàut nommer un Premier ministre accepté de tous. C’est là où il y a problème. Seydou Diarra est là.

C’est un Premier ministre de consensus. C’est Gbagbo qui a signé son décret de nomination, mais cela a abouti à quoi ? Je crois que l’Onu doit prendre une résolution claire et sévère sinon la responsabilité de la communauté internationale sera engagée [c’est moi qui souligne]. Ilfaut sortir de ce jeu [...] Il y a des mesures radicales que vous êtes obligés de prendre".

Personne ne pense à Ouaga qu’un premier ministre de consensus puisse être nommé ; et que nommé il puisse réussir. D’autant plus que Gbagbo s’accroche à la Constitution ("moi, ça me fait rigoler, affirme Simon Compaoré [...] Quand on est au bord du gouffre géant qui peut vous engloutir à jamais, on ne pose plus de condition").

Tout le monde sait à Ouaga que cela a trop duré et qu’il faut en finir. Si l’ONU et l’UA n’y parviennent pas, il faut envisager des actions politiques plutôt que diplomatiques. C’est pourquoi un axe Blaise Compaoré-Guillaume Soro s’est reformé, le leader des Forces nouvelles trouvant dans la réélection du président du Faso des raisons d’espérer. Il contrôle 60 % du territoire ivoirien et 7 millions d’habitants. Face à un président de la République "maintenu", il veut la primature ou la vice-présidence. Logique.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

P.-S.

Voir notre dossier :
Présidentielle 2005

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