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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (30)

Publié le vendredi 25 novembre 2005 à 08h39min

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Hermann Yaméogo, accusé de menées subversives

La "visibilité" est le mot-clé de toutes les conversations que j’ai eues lors de mon séjour à Ouagadougou au "printemps" 2004. Cette "visibilité" n’a de sens que s’il y a accessibilité. Là encore, pas grand chose à dire. La communication, si elle n’est pas toujours parfaite, est de bonne volonté. Plus encore, il n’est pas un responsable qui soit cadenassé dans son ministère et refuse de dialoguer.

Il faut, plus encore, la crédibilité qui suppose la compétence. Sur ce point, le Burkina Faso vient en tête du peloton. A Ouaga, ceux qui tiennent le haut de l’affiche tiennent aussi la route. Qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Enfin, pour que la "visibilité" soit totale, il faut la possibilité de sanctionner.

Quand une classe politique s’érige en nomenklatura et que la gestion de l’Etat devient un mode de production qui confine à la confiscation, la société est bloquée. A une certaine période de son histoire, le Burkina Faso n’y a pas échappé ; il en reste, sans doute, des séquelles. Il reste, encore, également, des tentations.

Est-ce à dire que tout va pour le mieux au Burkina Faso ? Je dirai qu’ici, compte tenu de l’extrême pauvreté du pays, du taux d’analphabétisme (toujours excessif), des problèmes sociaux, de la densité de la population (le Burkina Faso est un des pays les plus peuplés d’Afrique noire francophone), cela va mieux qu’ailleurs et l’on ne fait pas semblant d’aller bien. C’est cela aussi la "visibilité" : l’acceptation de la réalité.

Cette réalité s’exprime symboliquement à Ouaga 2000. Dans l’axe de la présidence de la République a été érigé un
"monument aux martyrs", opération qui s’inscrit dans le cadre des engagements pris le 30 mars 2001 lors de la Journée nationale de pardon. Un fonds d’indemnisation a été créé pour dédommager les "cas de violence en politique" qui sont recensés. Démagogie ? Récupération politique des abus du "sankarisme" ? On peut se gausser. Ou penser, comme Compaoré, "qu’ici et nulle part ailleurs en Afrique, on a fait le décompte des morts du fait de la violence politique".

A Ouaga, hormis mon entretien avec le chef de l’Etat, mes contacts avec son directeur de cabinet, Assimi Kouanda, et son directeur de la communication, Saïdou Ouédraogo, je rencontre Ludovic Alain Tou, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Jeunesse dans la perspective du prochain prochain Sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté.

Il vise à capitaliser les expériences et à discuter de manière opérationnelle sur les voies et moyens de lutter contre la pauvreté par la création d’emplois durables. "C’est l’emploi qui doit irriguer tout le reste du corps économique et social de l’Afrique, me dira Tou. Il faut cesser d’attendre des autres qu’ils identifient ce que nous voulons.

Le Burkina Faso est la terre des ONG. C’est bien. Mais il faut passer à une étape ultérieure. C’est pourquoi avec nos partenaires internationaux et le concours d’autres Etats africains nous sommes déterminés à mettre en place des plans d’action d’opérationnels et un mécanisme de suivi approprié à différents stades.. national, sous-régional et continental".

Je retrouve avec plaisir la ministre de la Promotion des droits humains, Monique Ilboudo, auteure de plusieurs ouvrages qui vient de la société civile. "On me pose souvent la question de savoir pourquoi j’ai accepté de rejoindre le gouvernement alors qu’il y a cette affaire Zongo, me dit-elle. Et alors ! A cause de cette douloureuse affaire, je vais cesser de me préoccuper du devenir de mon pays, baisser les bras et laisser faire ? Sûrement pas".

C’est Boureima Badini qui est ministre de la Justice, garde des sceaux. Nous nous sommes connus dans les années 1990 dans un autre cadre ; il est le patron de la justice au Burkina Faso depuis octobre 1999, un an après le déclenchement de "l’affaire Zongo ". Quand je rencontre Badini, elle est entre les mains du juge d’instruction et non pas du ministre de la Justice.

Je discute avec lui du Plan d’action national pour la réforme de la justice et du Programme d’appui au renforcement du processus démocratique, l’Etat de droit et la bonne gouvernance (Padeg). Ces programmes s’inscrivent dans une vision de la justice qui va bien au-delà de la "chose jugée" mais prend en compte, également, ce qu’ici on appelle les droits humains.

Je vois aussi, à plusieurs reprises, Y éro Boli, ministre de la Défense, et Djibrill Yipènè Bassolé, ministre de la Sécurité. J’ai un entretien avec Jean de Dieu Somda, ministre délégué chargé de la Coopération régionale. J’ai, de façon informelle, une longue discussion avec Youssouf Ouédraogo, toujours entre deux avions et deux rendez-vous mais plus accessible à l’issue d’un "décrassage" nocturne sur un court de tennis qu’au bout du monde via son Thuraya.

Le dossier ivoirien occupe, bien sûr, une part essentielle de notre temps. La situation sur le terrain est tendue. Et va rejaillir, une fois encore, sur la situation intérieure burkinabè. Compaoré va être mis en cause dans la déstabilisation de la Mauritanie de Maaouiya Ould Taya et du Togo de Gnassingbé Eyadéma. Le premier va être déposé par un de ses plus proches collaborateurs (le directeur général de la Sûreté nationale) le 3 août 2005 ; le second va mourir de sa belle mort le 5 février 2005. Sans que Compaoré soit responsable de l’une ou de l’autre issue fatale à deux chefs d’Etat de la sous-région. Et puis ce sera "l’affaire Hermann Yaméogo".

Le samedi 3 juillet 2004, à la présidence du Faso, alors que nous venions de quitter la table où nous dejeunions en tête-à-tête, Compaoré, un oeil sur l’écran TV où l’équipe nationale burkinabè de football disputait un match contre l’équipe nationale sud-africaine, me commentait la situation difficile des enfants des chefs d’Etat.

Difficile, me disait-il, évoquant sa propre progéniture, parce qu’étant protégés de tout et pris en charge pour tout, ils ont bien du mal à prendre conscience de la réalité des choses. "Quand on est élevé au sein d’un palais présidentiel, me disait-il, il devient impossible de devenir, à son tour, chef d’Etat. On a une vision fausse des choses". Quelques mois plus tard, Y améogo, fils du premier président de la République de Haute- Volta, "Monsieur Maurice ", sera mis en cause par les responsables politiques burkinabè dans des actions qui visent, en déstabilisant le Burkina Faso à déstabiliser Compaoré.

Ni "l’affaire Zongo", ni les répercussions au Burkina Faso de la crise ivoirienne, n’ont permis à l’opposition burkinabè de trouver un point d’ancrage lui permettant de mettre en difficulté Compaoré. C’est que l’opposition affirme sans cesse sa volonté d’union mais regroupe un trop grand nombre de formations qui ont, pour l’essentiel, des allures de groupuscules quelque peu disparates dont l’idéalisme politique, pour les meilleurs, l’opportunisme politique pour les autres, se heurtent au pragmatisme politique de l’équipe qu’anime Compaoré.

Si Compaoré dérange, c’est que le Burkina Faso dérange. Il avance, avance, avance. A son rythme. Avec ses moyens. Selon sa propre ligne politique ; ou, plus exactement, une certaine vision du monde qui lui appartient en propre. Ce qui ne manque pas de susciter, ici et là, des jalousies. A la veille de l’organisation par Ouaga du Sommet de la Francophonie, elles ne manquaient pas bien sûr de s’exacerber.

Il faut bien reconnaître que le Burkina Faso réussit souvent là où les autres pays francophones d’Afrique de l’Ouest échouent pour la plupart : stabilité politique ; développement et croissance économique ; progrès social ; présence internationale ; dialogue politique quasi permanent, etc. Filippe Savadogo, ambassadeurà Paris, me recevant en septembre 2004 évoquait pour moi son pays démuni de tout mais riche de ses hommes et de ses femmes que l’on attaque parce qu’on le pense faible ; ces chefs d’Etat qui lorgnent avec envie du côté de cette terre sahélienne qui ose être ce qu’elle a toujours été : combative. Il ajoutait que le sang qui coulait en Côte d’Ivoire était le sang de son peuple. C’est cela la réalité. Elle est parfois difficile à vivre pour les autres.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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