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Burkina Faso : "La citoyenneté définitivement en crise"

Publié le mercredi 23 novembre 2005 à 08h43min

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Le Collectif devenons citoyens (CDEC) fait, dans les lignes qui suivent, une analyse de l’élection présidentielle et du vote des Burkinabè marqué par l’abstentionnisme et les bulletins nuls.

La Commission électorale nationale indépendante a proclamé vendredi dernier les résultats provisoires du scrutin présidentiel du 13 novembre. L’opinion nationale et internationale est dorénavant située même de façon provisoire sur les résultats de cette élection.

Actuellement, les supputations et autres analyses vont bon train. Nous voulons donc saisir l’opportunité pour apporter le regard du CDEC sur le bilan de cette expérience dont vient de s’enrichir notre processus électoral. mEn effet, on peut, sans risque de se tromper, affirmer que l’élection a été pacifique et crédible.

Cela, la quasi-totalité des observateurs nationaux et internationaux venus surveiller le scrutin l’on reconnu. Sans complaisance, ceux-ci ont par ailleurs fait d’importantes recommandations dont la pertinence et l’impériosité ne sont plus à démontrer tant celles-ci sont essentielles à la consolidation du processus électoral et partant de la démocratie.

Il s’agit notamment de la limitation du nombre des pièces d’identification de l’électeur, de l’audit indépendant du fichier électoral, du plafonnement des budgets de campagne électorale, de la formation des membres de bureaux de vote, et enfin, la présence effective des délégués de partis politiques dans les bureaux de vote. Ces ajustements sont à nos yeux indispensables au progrès du processus démocratique burkinabè.

Raison de plus pour nous de les évoquer ici afin d’insister sur la nécessité de les prendre en compte pour faire changer réellement les choses dans le sens voulu par les acteurs. Au demeurant, ces problèmes avaient pour la plupart été décriés par les acteurs avant l’élection à plusieurs occasions. Notamment lors des ateliers du National democratic institute for international affairs (NDI) sur la transparence électorale, et du Conseil supérieur de la communication (CSC) sur médias et élections organisés respectivement au mois de septembre et d’octobre 2005.

Puis au symposium sur le renforcement du processus électoral organisé par le Collectif devenons citoyens (CDEC) le samedi 08 octobre 2005. 8Il était donc de notoriété que certains préalables essentiels à la réussite du processus électoral et à la bonne marche de la démocratie dans notre pays faisaient défaut.

Que l’on puisse revenir au terme de l’élection, sur ces insuffisances connues d’avance sans dommages notables pour le processus électoral est capital et demeure salutaire. C’est pour quoi il faudrait justement se réjouir du fait que les différentes rencontres pré-électorales aient pu se tenir car elles auront eu sans doute le mérite de peser sensiblement sur les consciences et favoriser l’issue heureuse du scrutin présidentiel.

Grosso modo, notre pays a gagné le pari de la maturité politique. De façon globale, les résultats électoraux ont été acceptés et la peur des conflits post- électoraux dissipée. dCÕest le lieu de relever et saluer le bon sens qui a guidé les acteurs socio-politiques dans leurs faits et gestes à l’occasion de cette élection. Dans ce sens, il convient de féliciter tous les acteurs en général, puis la CENI et les médias en particulier.

Ces derniers ont su faire preuve d’engagement, de professionnalisme et d’un savoir-faire somme toute irréprochable tout au long du processus électoral. L’élection présidentielle est maintenant passée. C’est désormais un souvenir qui ne doit cependant pas être jeté aux calendes grecques. Ce passé électoral récent est une riche expérience que les acteurs gagneraient à prendre avec grand intérêt aux fins d’en tirer toutes les conséquences utiles pour envisager l’avenir.

Car un des défis immédiats reste la tenue des élections municipales prévues le 12 février 2006. Toutes choses qui permettent de dire que les critiques et propositions faites çà et là doivent être intégrées par les principaux acteurs concernés, si l’on veut réellement améliorer les conditions d’organisation des élections dans notre pays.

Taux impressionnant de l’abstention et du vote nul

L’élection qui vient de s’achever nous fait désillusionner quant à croire que la citoyenneté se porte bien au Burkina. En témoigne la faible participation au suffrage, le taux d’abstention très élevé et le nombre de bulletins nuls en nette explosion. Consécutivement, les taux avoisinaient 57% , 43% et 5%.

Ces statistiques devant toutes considérations trahissent bien une crise de la citoyenneté au sein des populations. Le taux impressionnant de l’abstention et celui du vote nul des électeurs sont à analyser sérieusement par les acteurs politiques. Parce que ceux-ci ne manquent pas d’implications graves du point de vue politique et du fonctionnement de la démocratie. Car dans le principe, le vote est un devoir civique pour tout citoyen.

Partant de ce postulat, ne pas voter est une façon délibérée du citoyen, à tort ou à raison, de nier, voire rejeter ce devoir. Malheureusement, certains Burkinabè pourtant inscrits sur les listes électorales ont choisi en grand nombre de ne pas aller aux urnes pour voter. Certains y sont allés et ont voté nul. Ce constat révèle, se faisant dans notre démocratie en construction, une grave crise de la citoyenneté telle que toutes les démocraties mêmes les plus anciennes redoutent aujourd’hui sans pouvoir en trouver la solution. D’où la question de savoir ce que sera l’avenir de notre jeune démocratie déjà frappée dans le berceau par cette maladie appelée abstentionnisme qu’on croyait être l’apanage des plus vieilles ?

Dans le même ordre d’idées, l’explosion du vote nul à ce scrutin présidentiel, soit plus de 202 000 bulletins nuls, est aussi sérieuse. Car ce taux, porté à presque 5%, après comparaison, est nettement supérieur à celui du poursuivant immédiat du candidat élu premier à la magistrature suprême. Même si à l’état actuel de notre processus électoral, la distinction entre bulletin nul et bulletin blanc n’est pas faite, un tel vote ne doit pas cependant être banalisé et considéré sans conséquence.

Dans les grandes démocraties, le vote blanc est un signal de rejet systématique des choix politiques, notamment les programmes politiques des candidats. Les citoyens y ont recours pour signifier à la classe politique que les propositions faites sont aux antipodes de leurs attentes fondamentales. Aux plans sociologique et politique, un taux aussi important que 5% de vote nul, comme cela a été notre cas dans une jeune démocratie, mérite attention et réflexion.

Notre loi électorale devrait elle-même être réaménagée pour, non seulement instaurer le bulletin blanc, mais également pour lui donner un contenu spécifique à divers degrés (politique, juridique, sociologique, etc.). Autrement dit, ceux qui ont voté nul auraient certainement pu voter blanc. Dans les Nations ou le bulletin blanc est expérimenté, celui-ci s’est imposé suite à une prise en compte par la classe politique des dégâts innombrables au plan politique que comportait son inexistence. Son instauration n’est jamais une panacée pour réduire la tendance à l’abstentionnisme. Nonobstant cela, le bulletin blanc a des avantages qui sauvent les fondements de la démocratie et permet la survie de la République. ,Le vote nul peut entrainer un vote de mécontentement à terme

A l’évidence, à l’état actuel de notre processus démocratique et de la loi électorale, le taux d’abstention, et celui du vote nul en particulier qui pourraient être interprétés dans le sens d’un vote blanc, pourraient rester sans implication aucune. A priori, cela serait une grave erreur. Car les électeurs qui ont voté nul ne peuvent pas être forcément des citoyens qui méconnaissent toute la gestuelle du vote.

Sans toute fois vouloir justifier par l’injustifiable, au vu de leur importance, il pourrait s’agir de citoyens qui ont voté nul comme ils auraient voulu voter blanc pour exprimer leur rejet des douze projets de société qui étaient en face d’eux. L’avantage est que ces citoyens se sont déplacés de chez eux aux urnes pour accomplir un devoir civique. Ce sont de bons citoyens qui tenaient d’abord à accomplir leur devoir civique, et à travers leur vote, souhaitaient se faire entendre.

Admettons, comme rien ne pourrait garantir le contraire actuellement, que ceux-ci aient le sentiment cette fois de ne pas être écoutés. Nul ne saurait présager de la réaction future de ceux-ci. Mais il est plus sûr que deux alternatives se présenteront à eux. Soit ils s’abstiendront de voter prochainement, soit ils décideront de voter par mécontentement, en accordant leur suffrage à des idéologies extrémistes, tribalistes ou antirépublicaines.

Dans tous les cas, c’est la démocratie qui en sort grand perdante. Car l’abstention qui, apparemment, semble moins dangereuse, plonge elle aussi la démocratie dans une crise profonde à travers la délégitimation des institutions et de l’Etat, parce que les citoyens n’y accorderont plus aucun intérêt. Ce qui est par conséquent préjudiciable à la cohésion de la société ainsi qu’à sa stabilité.

Avec le verdict de cette élection, on peut enfin affirmer a contrario que le moment ne sied pas à la complaisance ni à l’autosatisfaction comme c’est un peu la tendance chez certains analystes. Avouons que notre jeune démocratie, visiblement en bonne santé du point de vue de ses assises formelles et des libertés individuelles et collectives, ne semble pas bien se porter cependant en ce qui concerne le degré de conscience citoyenne.

Les citoyens s’éloignent de plus en plus de la chose politique. Les citoyens burkinabè développent des attitudes de désaffection et de désintérêt à l’égard du politique. Ceci parce qu’ils sont désemparés, ne se reconnaissent pratiquement pas dans la politique qui est menée par la classe politique autour d’eux, si bien qu’ils commencent à avoir l’impression de ne pas appartenir à la collectivité, ni en être membre.

Cet état des lieux est la conjugaison de plusieurs causes dont les acteurs sociopolitiques et l’Etat sont les principaux responsables. mAu Burkina Faso, l’école, on ne le criera pas suffisamment à tue-tête, a démissionné de son rôle d’éducatrice pour devenir un simple cadre d’instruction. Conséquence, l’éducation civique et morale est presque inexistante dans les programmes scolaires. Les partis politiques, quant à eux, ont simplement failli à l’une de leurs attributions fondamentales, à savoir l’éducation civique des citoyens.

Le discours que ceux-ci tiennent aujourd’hui vise uniquement à mobiliser l’électorat au moment des échéances électorales. Ces périodes une fois passées, rien n’est fait en matière d’éducation civique du peuple. Tout s’arrête automatiquement. La société civile est appelée à la rescousse. Mais que peut-elle toute seule et surtout avec quels moyens ? Quand on sait que celle-ci n’a point de financement venant de l’Etat pendant que les partenaires se font très rares pour de multiples raisons.

Au regard de ce qui précède, il est suffisamment temps que l’on tire la sonnette d’alarme afin que l’augmentation du niveau de conscience citoyenne soit une préoccupation prioritaire dans les actions des acteurs sociopolitiques.

Le CDEC, en tout état de cause, recommande aux acteurs du processus démocratique :
- la recherche sérieuse des causes et des conséquences de l’abstentionnisme et du vote nul au scrutin présidentiel ;
- la prise en compte effective des différentes propositions d’amélioration du processus électoral faites par les observateurs à l’issue du scrutin ;
- l’éducation civique et citoyenne massive des populations. c Pour le Comité exécutif national

La coordonnatrice Catherine YABRE

Le Pays

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