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Justice : La Cour de cassation répond à Sina Ouattara

Publié le mardi 22 novembre 2005 à 09h13min

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L’article publié dans nos colonnes le 10 novembre 2005 par le sieur Sina Ouattara, relatif à la Cour de cassation, est "truffé de contre-vérités". C’est la conviction du bureau de cette Cour qui, à travers le droit de réponse qui suit, entend apporter à l’opinion nationale et internationale des informations justes.

L’écrit paru dans les journaux l’Observateur Paalga n° 6545 du jeudi 10 novembre 2005, le Pays n° 3496 du mardi 8 novembre 2005, et qui porte comme titres respectivement "Justice burkinabè : on regrette parfois les TPR", et "pour une opération mana-mana à la Cour de cassation", appelle quelques observations.

1°) De l’impact de l’action du ministère de la Justice

Dans son écrit, l’auteur se pose la question suivante : et comment peut-on apprécier l’impact de ces réformes, si malgré toutes ces réformes prises par le sommet, aucun changement positif dans le fonctionnement de ces tribunaux et ces cours n’est visible sur le terrain pour les justiciables que nous sommes ?

Pour pouvoir mesurer l’impact des réformes sur le fonctionnement de la Cour de cassation, il faut avoir une perception claire desdites réformes. L’une des conséquences de la réforme, c’est d’avoir procédé à l’éclatement de l’ex-Cour suprême en quatre (4) structures qui sont le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat et la Cour des comptes.

L’un des objectifs poursuivis par cette réforme est de créer des juridictions moins lourdes et dont le domaine d’intervention est beaucoup moins étendu. La mise en œuvre de cette réforme a abouti à l’adoption :

de la loi organique n° 11-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement du Conseil constitutionnel ;
de la loi organique n°13-2000/AN du 9 mai 2000 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Cour de cassation ;
de loi organique n°015-2000/AN du 23 mai 2000 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement du Conseil d’Etat ;
de la loi organique n°14-2000/AN du 16 mai 2000 portant composition, organisation, attributions, fonctionnement de la Cour des comptes.

Mais, après leur création, ces hautes juridictions ont continué à fonctionner avec à peu près les mêmes effectifs que les chambres de l’ex-Cour suprême.

Lorsqu’on se rappelle qu’à l’époque déjà, la Cour suprême se plaignait du manque d’effectif, l’impact de la réforme ne pouvait pas se faire sentir sans augmentation des effectifs. Mais, malgré cette situation, l’adoption de nouvelles méthodes de travail a permis l’augmentation du nombre de dossiers traités.

2°) Du mauvais traitement des dossiers

Dans l’écrit figure la déclaration suivante : "Des juges au-dessus de tout soupçon s’entêtent à rendre, délibérément et en toute impunité, des sentences inappropriées, au mépris du bon sens, du serment et des textes de loi ; cela pour entrer dans les grâces des parties qu’ils cherchent à favoriser, en leur faisant gagner du temps, soumettant ainsi les victimes aux longs délais de procédure (multiples reports de jugement pour des motifs anodins, vacances judiciaires, temps de transfert entre différentes juridictions, et, surtout, hibernation interminable des dossiers à la Cour de cassation".

On constate que l’auteur de l’écrit se permet d’évaluer le travail de la Cour de cassation. Il s’arroge le droit de qualifier les décisions rendues par la Cour d’inappropriées ou d’être rendues au mépris du bon sens, du serment et des textes de lois.

Pour avancer une telle appréciation, il faut connaître tous les textes de lois que cette juridiction applique. Les personnes qui répondent à ce profil sont très rares. Il est regrettable que l’auteur n’ait pas étayé son écrit avec des exemples concrets.

Ayant la prétention de connaître de façon approfondie les textes de lois appliqués par la Cour de cassation, il devrait savoir que le report des jugements n’est jamais prononcé pour des motifs anodins. Dans la plupart des cas, c’est en application de dispositions légales que les affaires sont renvoyées, ou à la demande des parties elles-mêmes.

L’on peut citer l’exemple de l’article 603 du code de procédure civile qui dispose que le pourvoi est formé par requête sur papier timbré. La requête doit :

indiquer les nom, prénoms, domicile des parties...
contenir l’exposé sommaire des faits et moyens, l’énoncé des dispositions légales qui ont été violées, ainsi que les conclusions formulées ;
être accompagnée d’une copie signifiée, d’une expédition ou de la grosse de la décision attaquée.

Si l’on considère que, conformément à l’article 604 du code de procédure civile, la requête est déposée au greffe de la Cour de cassation, l’on comprend que ladite Cour, après l’avoir reçue, demande à la juridiction qui a rendu la décision la communication du fond du dossier, y comprise la décision attaquée.

Le rôle de la Cour de cassation étant de contrôler si le juge du fond a bien dit le droit, il est nécessaire que la décision attaquée soit produite. En effet, on ne peut demander à la Cour de se prononcer sur une décision qui ne lui a pas été communiquée.

Or, le code de procédure civile ne donne ni un délai dans lequel la juridiction qui a pris la décision doit la communiquer, ni ce qu’il y a lieu de faire lorsque ladite décision n’est pas produite. Parfois même, ces retards sont imputables aux parties, qui ne produisent pas leurs mémoires dans les délais impartis par la loi.

Ainsi, le conseiller rapporteur adresse régulièrement au greffier en chef près la juridiction qui a rendu la décision objet du pourvoi des lettres de rappel en vue de la communication du dossier. Par ailleurs, le Premier président a rappelé à plusieurs occasions la nécessité de la transmission, par les juridictions concernées, des fonds de dossiers avec l’arrêt querellé pour le bon déroulement de la procédure de pourvoi.

Force est donc de constater, que le retard accusé dans le traitement de certains dossiers n’est pas dû à des silhouettes politiques qui s’acharnent à s’appesantir sur ces dossiers pour les étouffer.

3- Des statistiques démagogiques

L’auteur de l’écrit avance que lorsque les statisticiens de la Cour de cassation affirment avoir reçu 116 pourvois entre octobre 2004 et octobre 2005, et rendu 113 arrêts, n’est-ce pas de la démagogie ? ... Qu’a-t’on fait des dossiers d’avant 2004 qui continuent à dormir dans les tiroirs de la cour ?

Tout d’abord, il ne s’agit pas de 116 pourvois pour cette période mais de 166 pourvois. Lorsqu’on veut émettre une critique, il faut s’assurer d’avoir bien compris le sujet qui fait l’objet de la critique.

Dans son intervention à l’occasion de la cérémonie d’installation des magistrats, le Premier Président de la Cour de cassation a dit ceci : "Dans le courant de l’année 2004-2005, la Cour de cassation a été saisie de 166 pourvois et a rendu 113 arrêts".

Il est clair que les 113 arrêts ne concernent pas seulement les 166 pourvois reçus dans le courant de l’année judiciaire 2004-2005. Ces arrêts concernent aussi les dossiers parvenus avant 2004.

Il sied de souligner, si l’on suit le raisonnement de l’auteur de l’article, que si la Cour n’avait pas hérité des dossiers en instance, il ne lui en resterait que cinquante-trois (53), ce qui ne saurait constituer en soi un déficit dans le rendement de la Cour, qui comporte 4 chambres et a hérité de 741 dossiers de l’ex-Cour suprême.

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler à l’auteur de l’écrit, qui affirme que des dossiers sont en attente de jugement depuis quatre ans et plus à la Cour de cassation, que la Cour a tenu sa première audience le 6 février 2003 et n’aura donc 3 ans de fonctionnement effectif qu’en février 2006.

4°) De la présence à la Cour de vieux magistrats proches de la retraite

L’auteur de l’écrit affirme : "il semblerait même que cette Cour soit comme un garage, et qu’elle soit constituée de vieux magistrats proches de la retraite, sans aucune motivation".

Il convient de relever ici que dans aucun pays du monde, des magistrats venant de terminer leur formation ne sont nommés à la Cour de cassation. Au Burkina Faso, l’article 23 de la loi organique n° 036-2000/AN du 13 décembre 2001 dispose en son alinéa 2 que les magistrats de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes sont choisis parmi les magistrats du grade exceptionnel de la hiérarchie judiciaire.

Or, il ressort des dispositions de l’article 26 de la loi visée ci-dessus qu’il faut compter au moins vingt ans de service pour accéder au premier échelon du grade exceptionnel de la hiérarchie judiciaire.

Voilà donc pourquoi ce sont les magistrats les plus anciens et les plus expérimentés qui sont affectés à la Cour de Cassation, mais pas forcément des vieux proches de la retraite.

5°) Des justiciables trouvant leur compte dans les TPR

Le prétendu dysfonctionnement de la Cour de cassation amène, dit l’auteur de l’écrit, à regretter les TPR où les procès se menant tambour battant, les justiciables trouvaient chacun son compte.

Si les justiciables trouvaient chacun son compte dans les jugements TPR, comment expliquer que beaucoup de ces mêmes justiciables aient introduit des recours en révision contre les décisions de ces juridictions devant la Cour de cassation ?

6°) Du magistrat qui connaît d’une affaire à la Cour d’appel et qui siège lorsque la même affaire est enrôlée en cassation

Ce cas ne s’est jamais produit ni à l’ex-Cour suprême, ni à la Cour de cassation. Un tel cas de figure est interdit tant par la loi que les principes généraux du droit.

A cet égard, l’article 14 du statut de la magistrature est on ne peut plus clair. Il dispose : "Aucun magistrat ne peut, à peine de nullité de la décision à intervenir, connaître d’une cause dans laquelle son conjoint, ou lui-même, ses alliés, ses parents jusqu’au degré d’oncle ou de neveu inclus exercent ou ont exercé des fonctions de magistrat, d’avocat, d’expert, de syndic, de faillite ou de liquidateur judiciaire".

Cette règle tire sa source d’un principe général du droit qui veut que nul ne puisse être juge et partie en statuant notamment sur les décisions auxquelles il a participé. Là encore, il est évident que l’auteur de l’écrit ignore cette règle élémentaire.

Dans un Etat de droit, il est normal que le justiciable s’intéresse au fonctionnement du système judiciaire et interpelle, le cas échéant, le personnel qui l’anime. Mais les observations émises ne doivent être ni subjectives ni avoir pour but de semer la confusion. Elles doivent correspondre à la réalité et, dans ce cas, le personnel judiciaire doit les prendre en considération.

Le bureau de la Cour

L’Observateur

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