LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Dominique de Villepin : « La légitimité d’un pouvoir ne s’arrête pas aux modalités de son accession »

Publié le samedi 17 janvier 2004 à 00h00min

PARTAGER :                          

L’Afrique est une priorité pour Paris et elle est au cœur des enjeux mondiaux, estime le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, qui s’exprime pour la première fois, et en exclusivité, sur la politique africaine de la France. Sa croissance est supérieure à la moyenne mondiale, aidée d’investissements en hausse.

Quant aux crises, elles ne trouveront de solutions que dans le dialogue. Une Afrique sur laquelle il y a d’ailleurs convergence de vues entre Washington et Paris... Le texte de cette interviewa été relu et amendé par M. de Villepin.

Marchés Tropicaux : La France se réengage en Afrique. Mais quel intérêt a-t-elle de revendiquer et d’afficher de telles ambitions vis-à-vis de ce continent où les risques politiques sont importants alors que les marchés sont réduits ? Est-ce le sentiment d’une grandeur passée ?

Dominique de Villepin :
La France a une ambition pour l’Afrique. Elle a une vision volontariste, exigeante, et veut s’impliquer avec détermination au service de la paix et du développement. Car elle a une conviction : aujourd’hui, ce continent voisin est au cœur des enjeux du monde contemporain, qu’ils soient porteurs de menaces ou au contraire d’espoirs.

Certes, ce territoire immense cumule tous les facteurs de risque, des conflits interminables aux antagonismes ethniques et religieux, de la circulation illégale d’armements aux financements parallèles ou à la professionnalisation des rébellions, du pillage des ressources naturelles à l’entraînement des enfants soldats, sans compter les épidémies et la famine qui déciment des régions entières.

Mais il représente aussi pour le monde un immense réservoir de richesses à la fois matérielles et immatérielles : sa mémoire, son espace, ses ressources minières et naturelles, sa jeunesse en forte croissance constituent autant d’atouts indispensables pour notre planète. Alors que l’économie mondiale connaît depuis 2001 un net ralentissement, le continent africain enregistre désormais une expansion supérieure à la moyenne mondiale qui pourrait atteindre en 2004 le triple de la croissance européenne. On évoque même la possibilité d’une croissance à deux chiffres dès cette année pour certains pays africains.

Auparavant tributaire de la seule consommation intérieure, ce développement repose désormais aussi sur l’investissement ; les flux internationaux se dirigeant vers le continent africain ont presque doublé depuis deux ans, passant de $ 9 à 17 milliards : cette évolution témoigne d’un nouveau regard porté sur ces pays par les investisseurs étrangers du monde entier.

L’Arique francophone, qui est aujourd’hui secouée par les crises, participe néanmoins à cette évolution générale. Malgré l’impact du conflit en Côte d’Ivoire, la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) devrait enregistrer une croissance de 1.1 % en 2003 et de 4,8 % en 2004. De même, malgré la crise en Centrafrique, la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) est susceptible d’atteindre un taux de 3,5 % en 2003 et 6,5 % en 2004, dont 45 % pour le Tchad. Il y a là le signe d’une véritable vitalité dans ces pays.

Etes-vous confiant dans l’évolution du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), notamment en la capacité des dirigeants africains d’instaurer une revue par les pairs ?

Nous avons une conviction : notre monde ne sera pas plus sûr et plus prospère sans une renaissance de l’Afrique. Pour cela, il faut une véritable mobilisation collective et un partenariat actif et responsable entre pays développés et pays africains. Né à Gênes en 2001, le Nepad constitue l’illustration de cette démarche nouvelle, reflétant l’évolution politique des Africains.

La France soutient pleinement cette initiative, qui cible des objectifs fondamentaux si l’on veut garantir un développement efficace et durable du continent : renforcement de l’intégration régionale, amélioration des infrastructures de communication, développement du secteur privé, souci de renforcer la bonne gouvernance par la mise en place d’un mécanisme de surveillance mutuelle.

Au-delà de ces avancées, le Nepad témoigne de la volonté des Africains de prendre en main leur avenir, de leur détermination à résoudre désormais leurs conflits de façon autonome et responsable, et de leur volonté de construire avec les pays développés une relation fondée sur le partenariat et la maturité.

En juin dernier, devant l’Institut des hautes études de Défense nationale, vous avez insisté sur la primauté du dialogue. Cette voie ne vous a-t-elle pas contraint à reconnaître de facto un mouvement armé en Côte d’Ivoire. Votre "doctrine" ne trouve-t-elle pas actuellement ses limites dans ce pays ? La France reverra-t-elle ses ambitions africaines à la lumière cette crise ?

L’intervention de la France en Côte d’Ivoire est fondée sur une analyse simple et des principes clairs. Il n’y a pas de solution militaire durable à un conflit dont les racines sont anciennes et les répercussions régionales. Seul un dialogue politique fondé sur le respect de la légitimité du pouvoir, de l’intégrité du territoire et de la souveraineté de l’Etat peut permettre une sortie de crise durable.

A l’appui de cette solution, la France a soutenu dès le départ les efforts de la CEDEAO et a mobilisé dès l’origine la communauté internationale, à la fois dans le domaine politique avec les Nations unies et économique avec les bailleurs de fonds. Elle l’a fait avec un sentiment d’urgence face au risque d’enlisement d’un conflit qui peut s’étendre à toute la région, et pour éviter l’enracinement d’une rébellion qui pourrait s’installer dans la durée.

Croyez-vous encore en la paix dans ce pays et en la sincérité de chaque partie de respecter les accords signés à Marcoussis ?

La France reste confiante dans le processus en cours. Moins d’un an après Marcoussis, plusieurs étapes essentielles ont été franchies : cessez-le-feu généralisé, constitution d’un gouvernement de réconciliation, normalisation des relations avec les pays voisins, début des opérations de regroupement des armements et de la levée des barrages, prémices d’un retour à la vie normale sur l’ensemble du pays. Depuis quelques semaines, le président Gbagbo donne des signes concrets de sa détermination à appliquer désormais les accords de Marcoussis. Il reste maintenant aux ministres des Forces nouvelles à regagner le Conseil des ministres pour prendre la part qui leur revient au sein du processus de paix exigeant que nous soutenons depuis l’origine. Cette démarche, qui déroge à celles qui ont prévalu jusqu’ici sur le reste du continent, constitue un pari que les Ivoiriens sauront gagner.

Quelle conduite adopterez-vous si les forces françaises postées sur la ligne de front se trouvent prises entre deux feux ?

Les forces françaises présentes en Côte d’Ivoire sont aux côtés des forces régionales de la CEDEAO, dans le cadre d’un mandat clair imparti par les Nations unies. C’est conformément à ce mandat qu’elles se sont récemment opposées à l’intrusion des forces loyalistes dans la zone de confiance à M’Bayakro. Elles agiraient de la même manière si l’offensive venait des Forces nouvelles.

Vous énoncez des principes d’action, mais leur application varie d’un pays à l’autre. La France intervient en Côte d’Ivoire mais se retire de Centrafrique où un chef d’Etat "élu démocratiquement" a pourtant demandé son appui avant d’être défait par une frange de militaires soutenus par un pays tiers.

En Centrafrique comme en Côte-d’Ivoire, la France est intervenue en appui des efforts engagés par la médiation régionale. Très en amont de la prise de pouvoir par le général Bozizé, la France a soutenu politiquement, militairement et financièrement les efforts de la CEMAC - dont fait partie le Tchad - pour instaurer dans les meilleurs délais un dialogue de réconciliation nationale. Ces conseils n’ont pas été suivis.

Aujourd’hui, la CEMAC et les pays de la région ont décidé d’appuyer les nouvelles autorités centrafricaines et de favoriser la mise en place d’un processus rapide de transition. La France soutient cette démarche seule de nature à construire une paix durable.

Le temps du "pré-carré"africain est révolu, affirmez-vous. Reste que la proximité des relations que la France entretient avec les anciens pays du champ et avec certains chefs d’Etat est encore palpable" L’intervention de l’un d’entre eux aurait fait annuler une récente visite de Pierre André Wiltzer en Guinée équatoriale. Par ailleurs, une cellule africaine existe toujours à l’Elysée, et la politique africaine du Président de la République semble encore être un domaine réservé...

Les liens qui nous attachent à la famille francophone, qui sont fondés sur la mémoire, la fidélité et l’amitié, sont indéfectibles. Ils nous relient à l’ensemble de l’Afrique qui forme désormais un tout. En témoignent les fondateurs du NEPAD, qui se situent aux points cardinaux de ce grand continent : Algérie, Egypte, Afrique du Sud, Sénégal, Nigeria.

Notre politique s’appuie aussi sur des partenaires privilégiés qui se situent au-delà des clivages anciens entre Afrique anglophone, lusophone, francophone. C’est dans ce cadre que je me suis rendu par exemple en Afrique du Sud, au Ghana, en Angola, au Mozambique, et que je me rendrai prochainement au Soudan et au Nigeria. Quant au maintien d’une cellule africaine à l’Elysée, il traduit bien la place privilégiée qu’occupe la politique africaine pour le Président de la République et sa détermination à placer ce continent au cœur de l’agenda mondial.

La France encourage la démocratie en Afrique. N’a-t-elle pas manqué de réagir pour l’élection présidentielle au Togo, en décembre dernier, à l’occasion de la prochaine élection en Guinée ou encore pour condamner le coup d’Etat perpétué en septembre dernier en Guinée Bissau ? La realpolitik prévaut-elle sur les principes ?

La France est en effet très attachée aux progrès de la démocratie en Afrique comme partout dans le monde. C’est la raison pour laquelle elle est soucieuse de prendre en compte les écueils qui se dressent toujours sur le chemin du progrès et de la réforme. Nous savons que la solution à une crise de régime ne sera jamais durablement garantie par le simple remplacement des dirigeants au pouvoir. La démocratie ne s’impose ni ne se décrète, moins encore de l’extérieur. D’autant que la légitimité du pouvoir ne s’arrête pas aux modalités de son accession mais se mesure aussi aux conditions de son exercice.

Ainsi au Togo comme en Guinée Conakry, l’opposition doit pouvoir être en mesure de s’organiser et de se présenter en bon ordre aux échéances électorales. En Guinée-Bissau, comme d’ailleurs au Liberia, nous avons condamné le recours à la force et nous suivons avec vigilance le processus de transition en cours, avec l’ensemble de la communauté internationale, dont la mobilisation est essentielle.

Les divergences entre les Etats-Unis et la France sur la question irakienne se sont-elles déportées sur les questions africaines ?

Au contraire, nos analyses sont très proches et les politiques que nous conduisons complémentaires. Nous partageons la conviction qu’il appartient aux Africains de prendre leur destin en main et c’est le sens de notre action commune au sein du GS en soutien au NEPAD, aux organisations africaines et à la mobilisation des Nations unies en faveur du règlement des crises sur le continent. Que ce soit en Côte-d’Ivoire, au Liberia, au Soudan ou dans la région des Grands Lacs, nous poursuivons le même objectif et coopérons étroitement à cette fin. Face à l’urgence que constituent le rétablissement de la paix mais aussi la lutte contre le Sida et la famine, notre concertation est permanente.

L’augmentation de l’aide publique au développement est l’une des priorités du Président de la République. La hausse de cette aide n’est-elle pas brouillée par le volume important d’annulations de dette ou d’aide budgétaire au détriment de l’aide projet ?

Effectivement, l’effort français en matière d’APD a considérablement régressé lors de la précédente législature : moins 10 % sur le volume global de l’aide, moins 30% si l’on rapporte ce montant à l’évolution du PIB. Le gouvernement actuel s’est engagé à mettre fin à cette dérive : pour la première fois, l’APD a figuré au rang des priorités budgétaires de l’année 2003.

La hausse prévue pour 2003 constitue un réel effort pour le budget de l’Etat. Certes, les annulations de dette auront, cette année, représenté une part importante de cet effort, mais les autres composantes ne sont pas sacrifiées : le Fonds européen de développement (Fed) accélère ses financements ; nous triplons notre contribution en Fonds mondial contre le Sida, la tuberculose et le paludisme ; enfin, après une année 2003 difficile, le Fonds de solidarité prioritaire verra ses moyens augmenter de 23 % en 2004. Cette augmentation de l’aide doit s’accompagner d’une amélioration de nos méthodes. Nous y travaillons en examinant notamment les moyens de mieux équilibrer aide programme et aide projet.

Cinq ans après avoir été entérinée, la réforme de la coopération française vous semble-t-elle définitivement acquise ? Le métier de "développeur" existe-t-il toujours an sein du ministère des Affaires étrangères ?

La réforme de la coopération française a inscrit notre politique de développement dans une perspective plus large, afin de renforcer à la fois sa cohérence et son impact. Aujourd’hui, il n’y a pas d’aide au développement efficace sans gestion des conflits, sans promotion de la diversité culturelle, sans régulation des transactions financières. Une politique moderne de développement doit être à la fois globale et durable.

Une partie importante de l’aide bilatérale s’oriente vers les anciens pays du champ. N’est-ce pas en contradiction avec votre volonté de "continentaliser" la politique africaine

Les "pays du champ", auxquels nous restons profondément attachés, constituent effectivement le premier cercle de la Zone de solidarité prioritaire. Mais celle-ci s’est considérablement élargie, et couvre aujourd’hui la quasi-totalité du continent.

Nous renforçons également notre appui à tous les mécanismes d’intégration régionale. Enfin, c’est bien à l’ensemble du continent que nous nous adressons à travers notre appui au NEPAD, au Fonds européen de développement -dont nous couvrons le quart du financement- ou encore au Fonds mondial contre le Sida.

La coopération internationale se tourne de plus en plus vers des logiques transversales telles que la lutte contre le terrorisme ou l’immigration. L’idée de développement est-elle dépassée

Au contraire, nous plaçons le développement au cœur des problématiques d’aujourd’hui : il n’y aura pas de développement sans paix ni sécurité, ni de paix ou de sécurité sans développement des pays les plus pauvres. La lutte contre le terrorisme ou contre l’immigration irrégulière passe nécessairement par un effort accru en faveur du développement et par la mobilisation de l’ensemble de la communauté internationale.

Votre prédécesseur n’était pas porté sur les dossiers africains. Cela a-t-il nuit à l’image de la France auprès de vos homologues africains ou, de manière plus générale, auprès des Africains

Je n’ai pas ce sentiment.

Propos recueillis par Frédéric Lejeal
Marchés Tropicaux (www.moreux.fr) du 26/12/2003

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Tidjane Thiam en successeur de Henri Konan Bédié. Jusqu’où ?
Côte d’Ivoire : Robert Beugré Mambé nommé Premier ministre
Côte d’Ivoire : L’étrange destin de Marcel Amon Tanoh