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Affaire Hissein Habré : Attention à la recolonisation judiciaire !

Publié le lundi 21 novembre 2005 à 08h32min

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Hissein Habré

Comme si cela ne suffisait pas, à l’ambiance politico-juridique empoissonnée
par l’affaire Idrissa Seck, ancien Premier ministre et ancien bras droit du
président Wade, est venu s’ajouter le dossier brûlant de Hissène Habré, en
exil à Dakar depuis 15 ans.

Face aux multiples pressions intérieures et
extérieures exercées sur lui, pour obtenir l’extradition de l’ex-président
tchadien en Belgique, Abdoulaye Wade avait toujours inlassablement et
invariablement répété qu’il attendait la décision de la justice sénégalaise.
Dans un premier temps, celle-ci s’était déclarée incompétente pour trancher
sur la question.

La question a tout récemment été relancée par différents
mouvements des droits de l’homme, d’associations des familles des victimes
et de collectifs d’avocats qui demandent que Hissène Habré soit extradé en
Belgique où, en vertu de la loi sur la compétence universelle, ce pays avait
lancé, en septembre dernier, un mandat d’arrêt international contre lui pour
"violations graves du droit humanitaire international". Bien qu’arrêté et écroué
à Dakar, à la demande de la justice belge, cela n’a pas empêché le
président Wade de se refuser à dire s’il autoriserait cette extradition, estimant
que le sort de l’ancien président devrait être du ressort des Africains.

Me
Wade a été on ne peut plus clair : "c’est un problème africain. Je vais en
discuter avec l’Union africaine". En rappel, il faut relever que la Belgique et le
Sénégal ne sont liés par aucun traité d’extradition. De toute évidence, Wade
entend donner une dimension africaine à l’affaire. En effet, il est plus facile de
prendre acte de cet acte d’accusation que de l’exécuter. D’autant plus
qu’au-delà des aspects juridiques du cas Hissène Habré, on ne peut occulter
sa dimension politique et religieuse.

Durant son exil dakarois, l’ancien maquisard du désert tchadien, en hommne
prudent, a appris à fréquenter assidûment, soit par calcul politique soit par
conviction religieuse, la puissante confrérie des Tidianes, la même que celle
de Wade. Sans oublier que Habré a su tisser tout un vaste réseau d’amitiés
dans tous les méandres de la vie socio-politique du Sénégal. Quand on sait
qu’au Sénégal, tous les hommes politiques, musulmans ou catholiques, se
font l’obligation de solliciter la bénédiction des deux confréries (les Mourrides
et les Tidianes) dont l’influence a toujours pesé sur les échéances
électorales, toute décision gagnerait à être mûrement réfléchie.

Le président
Senghor, bien que catholique, l’avait bien compris. Abdoulaye Wade est-il
prêt à s’aliéner ce capital politique en livrant un cofidèle à la justice belge ?
En décidant de porter le dossier devant l’Union africaine, Abdoulaye Wade
s’offre une porte de sortie. En effet, ses pairs africains, soucieux de ménager
leurs arrières, semblent allergiques à voir Hissène Habré extradé.

Un autre
aspect du dossier Habré, c’est qu’il oppose le droit international aux droits
nationaux. Au nom de leur droit national, les Etats-Unis ont toujours refusé de
signer la convention créant la CPI (Cour pénale internationale) chargée de
juger les crimes de guerre, de sang et de génocide. C’est également en
violation flagrante du droit international que les USA sont intervenus
militairement en Irak en dépit de la désapprobation universelle. Ainsi, malgré
leur violation des conventions de Genève sur les prisonniers de guerre, les
soldats américains ne peuvent être poursuivis.

D’ailleurs, la Belgique s’était
vu menacer par les Etats-Unis qui envisageaient le transfert du siège de
l’OTAN si sa justice à compétences universelles ne mettait pas un bémol à
ses prétentions à jouer au redresseur de torts sur le plan international. Dans
une de nos précédentes éditions, nous écrivions que Habré n’était pas le seul
en Afrique ou ailleurs. Question : faut-il attendre qu’un chef d’Etat soit déchu
pour être jugé ? Une telle démarche ne va-t-elle pas encourager des chefs
d’Etat en fonction à s’éterniser au pouvoir sachant qu’ils ne peuvent plus jouir
d’un exil doré ?

A priori, personne ne souhaiterait innocenter Hissène Habré
en faisant table rase de ce qu’il aurait commis comme crimes. Ses victimes
ont droit à ce que justice leur soit rendue pour faire leur deuil.
Paradoxalement, au Tchad où il est censé avoir commis ces forfaits, on ne
semble pas pressé de demander son extradition pour le faire juger par un
tribunal tchadien. Les autorités tchadiennes craignent-elles d’être
éclaboussées par l’affaire Habré ?

Sous réserve qu’il n’y ait pas de traité en
matière d’extradition entre les deux pays, l’on peut se demander pourquoi les
autorités tchadiennes sont discrètes sur le dossier, se contentant de se
réjouir, du bout des lèvres, du mandat d’arrêt international lancé contre
Habré. Les autorités péruviennes n’ont-elles pas demandé au Chili d’extrader
Alberto Fujimoro ? De même, la Grande Bretagne n’a-t-elle pas extradé
Pinochet vers son pays d’origine, le Chili ?

Toujours est-il que l’on peut se
demander pourquoi ce sont des juridictions occidentales qui seraient plus
compétentes pour juger des dirigeants africains ? La réponse à cette
question ne souffre d’aucune ambiguïté, dans la mesure où sur le continent,
le juridiquement correct n’existe quasiment pas, la frontière entre le pouvoir
judiciaire et le pouvoir exécutif demeurant encore floue, le premier marchant
souvent au rythme du tambour du second.

Mais, il appartient aux Africains
d’assumer leurs responsabilités devant l’histoire en crédibilisant leurs propres
juridictions. Cela leur éviterait d’applaudir cette recolonisation occidentale
dans un domaine primordial comme la justice.

Le Pays

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