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Cheick Modibo Diarra à Sidwaya : "L’Afrique ne m’a pas perdu’’

Publié le vendredi 31 octobre 2003 à 05h02min

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Cheick Modibo Diarra, le Malien de la NASA est présentement en visite au Burkina Faso. Il est venu s’entretenir avec les autorités burkinabè sur la mise en place de grandes infrastructures pour la communication, la question de l’eau notamment sa gestion et son recyclage. M. Diarra a saisi l’occasion pour s’entretenir en exclusivité avec Sidwaya.

Sidwaya (S.) : Quel est l’objet de votre présence au Burkina Faso ?

Cheick Modibo Diarra (C. M. D.) : C’est la première fois que je viens au Burkina. Je suis venu rendre une visite de courtoisie à mes frères burkinabè. Le Burkina Faso à mon avis, est un des pays dont l’exemple en termes de sérieux et de travail devrait être suivi par tout le monde. Je suis donc venu rencontrer mes frères du Burkina pour leur faire savoir que je suis juste à côté, au Mali et leur faire connaître les choses sur lesquelles je m’apprête à travailler.

S. : Quelles sont justement "ces choses’’ sur lesquelles vous vous apprêtez à travailler ?

C. M. D. : Je m’apprête d’une part, à commencer une réflexion approfondie sur la mise en place d’infrastructures robustes et conséquentes en terme de communication pour nos populations et d’autre part à mener une réflexion sur la question de l’eau pour la sous-région sahélienne. Pour la question de l’eau, il s’agit de savoir comment la trouver, comment la gérer et surtout la recycler pour nos populations.

C’est pourquoi, je suis venu voir avec mes frères du Centre d’analyse des politiques économiques et sociales (CAPES) et avec les autres frères, sur les voies et moyens d’approfondissement de la "réflexion’’ afin de proposer des solutions aux décideurs.

Le troisième volet concerne l’éducation. Le problème d’éducation est un problème fédérateur pour tous nos Etats. Nous avons tous une démographie de la jeunesse qui est galopante. Ce qui est une bonne chose parce que c’est la ressource humaine qui, finalement, va nous sortir du sous-développement. Il faudrait cependant gérer cette ressource humaine, l’éduquer pour qu’elle puisse à son tour ajouter de la plus-value à ce que nous avons en terme de terres, d’eau et de ressources naturelles.

S. : Avec les officiels burkinabè et le CAPES, à quels projets êtes-vous arrivé ?

C. M. D. : Avec le secrétaire exécutif du CAPES et tout son staff, nous nous sommes réunis pour discuter. Ils m’ont présenté leur organisation et je leur ai présenté mes intentions. Nous sommes arrivés à la conclusion de travailler ensemble. Je leur ai dit que le CAPES devrait être un élément central au niveau de l’Institut de prospection et de stratégie que j’envisage de mettre en place parce qu’il est une structure déjà établie qui a une méthode de travail et est au parfum de beaucoup de choses. Je pense que le CAPES peut contribuer très rapidement à faire en sorte que nos réflexions prennent la bonne route.

S. : L’institut que vous envisagez de mettre en place est-il une initiative personnelle ou plutôt une initiative concertée avec certains pays occidentaux ?

C. M. D. : Il s’agit là d’une initiative personnelle qui s’inspire de l’expérience que j’ai vécue. Avant de travailler à la NASA en Californie, j’ai été professeur à Washington où j’ai vu des douzaines d’Instituts de prospection. Ces Instituts regroupent des gens qui passent le temps à réfléchir, à imaginer des choses qui n’existent même pas, à concevoir des scénari qui ressemblent à des fictions, à imaginer la géopolitique à un niveau global. Ils se demandent comment les décideurs devraient réagir face à une situation donnée avec toutes les conséquences que cela suppose. Quand les gens ont déjà cela dans leurs tiroirs et que la situation se produit, ils réagissent très rapidement. Cette réaction rapide donne l’impression que ces gens-là sont réellement ceux qui commandent ce qui se passe sur la scène politique globale au lieu de la subir. Nous aussi nous avons besoin de cela. Il ne faut pas que notre sous-région, notre continent subisse tout le temps ce qui se passe de par le monde. Il faut que nous aussi nous puissions, à travers nos efforts de réflexion, nos stratégies sous-régionales faire avancer la cause de nos concitoyens en améliorant leurs conditions de vie et donner à nos décideurs les outils leur permettant d’avoir une influence directe sur la géopolitique globale, tout en restant focalisés sur leur propre agenda après avoir fait des calculs rigoureux de toutes les conséquences de chacune des options envisagées.

S. : En quoi des recherches comme celles que vous envisagez pourront être utiles, tout de suite et maintenant, à des pays pauvres comme les nôtres où tout est prioritaire et où les gens sont à la recherche de la pitance quotidienne ?

C. M. D. : Tout cela est une question de stratégie. La solution se trouve déjà dans nos foyers, dans nos villages. Vous dites que nous appartenons à des pays pauvres où tout est prioritaire. Mais si vous allez tout de suite dans nos villages et vous regardez nos pères et nos mères, ils ne peuvent pas manger à leur faim tous les jours. Cependant, cela ne les empêche pas d’économiser des grains tous les jours pour attendre la saison pluvieuse. Ils savent qu’en saison pluvieuse, ils pourront les multiplier. A travers cette multiplication, ils savent que d’ici à quelques années, ils pourront atteindre l’autosuffisance alimentaire. Il faudrait que nous aussi, nous adoptions cette même stratégie. Et nous ne sommes pas nécessairement des pays pauvres. Nous avons des ressources humaines et naturelles extraordinaires. Il suffit maintenant de trouver les moyens pour développer ces ressources pour qu’elles puissent valoriser ce que nous avons actuellement comme richesses naturelles.

Nous avons par exemple échangé sur un projet de télécommunications en Afrique. Il y a aussi les infrastructures routières qui ne sont pas très développées. Il faut que nous arrivions à créer également une situation où l’on pourra éduquer les gens même à distance, à travers l’enseignement à distance, à travers la communication satellitaire. Nous devons pouvoir faire en sorte que toute les nations du continent africain se mettent ensemble pour acquérir un satellite.

S. Quelle richesse avez-vous perçue depuis votre séjour au Burkina que le pays pourrait mettre en valeur ?

CMD : La richesse que j’ai perçue, c’est que le Burkina a fait un progrès que je n’ai constaté nulle part ailleurs. Il s’agit de l’utilisation du temps et de la ressource humaine. Le Burkina est en avance par rapport à beaucoup de pays. Ce que j’ai constaté, c’est qu’il y a un décalage entre, d’une part l’effort que la nation est en train de faire pour pouvoir maîtriser l’eau qui est la base de tout développement et de toute agriculture ; cependant, la ressource humaine pourtant très disciplinée n’en tire pas le maximum de profit. Quand par exemple je vois dans un pays où il y a beaucoup de terres et de retenues d’eau, des jeunes en bonne santé debout au bord des voies de passer plusieurs heures à juste vendre des cartes téléphoniques, je trouve que c’est une perte de temps, c’est une perte de la ressource humaine.

Au lieu de passer ces heures au bord des routes, je pense que ces jeunes pourraient gagner plus dans les cultures maraîchères et leur absence au bord des voies ne gênerait personne ; il y a des kiosques pour les cartes téléphoniques. Il faut donc émuler tous ces jeunes pour qu’ils s’investissent ailleurs...

S. C’est la première fois que vous venez au Burkina. A vous entendre parler, on a l’impression que vous faites partie de cerveaux dont l’Afrique a besoin mais qui sont en fuite.

CMD : La notion de perte est relative. L’Afrique ne m’a pas perdu. Depuis quinze mois, j’étais au Kenya en train de développer l’Université mutuelle africaine. Je suis revenu au Mali maintenant pour travailler avec les frères de la sous-région. Ce qu’il faut regarder quand les gens ne sont pas physiquement présents dans leurs pays, c’est ce qu’ils sont en train de mener ailleurs comme actions pour leurs Etats ou pour le continent. Il s’agit de constater ce que ces gens sont en train d’apprendre pour leurs Etats, les réseaux de partenariats qu’ils développent pour leurs Etats, etc. On pourrait parler de perte si tout au long de la vie de ces gens, ils ne venaient pas mettre à profit leurs connaissances et relations qu’ils auront tissées, pour le bénéfice de leurs concitoyens. Tant que cela est fait à des périodes bien précises, rien n’est perdu. Moi, si j’étais revenu au pays, il y a de cela 15 ans je n’aurais pas eu l’expérience que j’ai acquise. Aujourd’hui, 15 ans après, non seulement j’ai enseigné à l’université, j’ai fait cinq (5) missions spatiales pour la NASA, mais aussi j’ai été le directeur des programmes d’éducation de la NASA. J’ai acquis toutes ces expériences et je viens encore plus riche. Les cerveaux ont besoin aussi d’être mûris, car il y a le savoir et le savoir-faire. Le savoir faire demande beaucoup de temps, beaucoup de coût et c’est ce qui est important pour nos Etats.

S. La sous-région est actuellement marquée par la crise ivoirienne. Quelle analyse faites-vous de cette donne ?

CMD : Vous savez, les problèmes de crise sont toujours des problèmes qui ont des racines économiques. Je ne suis pas très informé au niveau politique ; je parle en terme "d’expérience’’.

Chaque fois qu’il ya des richesses dans une région et qu’il y a beaucoup d’intérêts en jeu dans ces richesses, des gens à travers des personnes interposées vont jouer au damier. Il faut justement que nous puissions surpasser cela dans nos pays. Il est bon que l’on puisse mettre en place au niveau continental un comité constitué de gens respectés, intègres, qui ne sont pas tous nécessairement des présidents, à qui on va confier la mission de prévention des crises.

Il ne faut pas attendre que les problèmes éclatent pour commencer à rechercher les solutions.

L’Afrique n’a plus besoin de perdre ses ressources, de perdre ses fils. Chaque petite ressource est importante pour le continent.

La vérité est que chacune des personnes impliquées dans la crise aime bien son pays. C’est simplement un problème de vision, une différence de vue quant à la manière dont la nation sera gouvernée. Mais on n’a pas besoin de s’entretuer pour trouver la solution. Il y a des voies et moyens pour parvenir au consensus.

S. : Comment êtes-vous arrivé à la NASA ?

CMD : Pour le résumer, c’est juste trois choses. La première, c’est le travail et la discipline. La deuxième est la bonne volonté que vous allez manifester vis-à-vis des gens. Ce sont elles qui vont à leur tour vous informer des opportunités.

Quant à la troisième chose, elle représente la chance. Ce sont ces trois choses qui m’ont aidé à atteindre là où je suis aujourd’hui. Evidemment, le mérite appartient à mes parents et à mes concitoyens qui ont payé les impôts m’ayant permis d’aller à l’école, et d’étudier pendant longtemps.

Je suis très content et les remercie. Aujourd’hui, je suis en voyage au Burkina et je suis fier d’être ici. J’encourage les uns et les autres à travailler pour qu’ensemble nous allions de l’avant. En tout il y a de l’espoir.

Interview exclusive réalisée par
Ibrahiman SAKANDE
et Enock KINDO
Sidwaya

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