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Trafic :d’objets d’art : Comment arrêter la saignée

Publié le lundi 7 novembre 2005 à 08h25min

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Les trafics d’objets d’art burkinabè sont tellement récurrents qu’il convient de
mettre le garrot afin d’arrêter ce qu’il convient d’appeler, une véritable
saignée. Ceux qui s’adonnent à ce genre de trafic sont des individus sans foi
ni loi qui franchissent allègrement les frontières poreuses de notre pays et,
profitant de son hospitalité et de la complicité d’intermédiaires locaux parfois
d’ailleurs mal rétribués, sont persuadés que tout est achetable au Burkina,
même notre âme.

L’Afrique en général et le Burkina en particulier, qui ont
assisté impuissants, au pillage systématique de nos objets d’art pendant la
période coloniale, vont-ils encore croiser les bras face à cette seconde
prédation ? Non contents de refuser à l’Afrique la récupération de ses
richesses culturelles qui meublent déjà ses musées et attirent de nombreux
touristes, l’Occident déverse actuellement sur l’Afrique, une meute de
trappeurs d’un genre nouveau qui ne reculent devant rien pour vider le
continent de tout ce qui lui reste encore comme socle pour résister à une
mondialisation dont le rouleau compresseur est impitoyable.

Même si ceux
qui sont souvent pris la main dans le sac semblent agir seuls, ils travaillent
par procuration, et derrière eux, se cachent de véritables spécialistes et de
gros industriels qui ne reculent devant rien, y compris la corruption, pour
parvenir à leurs fins. Au Burkina, les autorités en charge de notre patrimoine
culturel n’ignorent pas la gravité de la situation. Il ne se passe pas de jour
sans que des trafiquants soient épinglés. Personne n’aurait intérêt à ce que
les Burkinabè, déjà socialement et économiquement marginalisés, soient un
peuple culturellement sans âme.

Mais la sauvegarde et la préservation de
nos objets d’art ne peuvent incomber aux seules autorités, car le combat
exige des armes multiformes. Déjà, à l’échelle mondiale, on voit comment
l’UNESCO éprouve d’énormes difficultés à faire admettre à certains pays
occidentaux, le rapatriement des objets d’art du continent. Toujours est-il que
deux pays comme les Etats-Unis et Israël ont refusé d’adhérer tout
récemment au principe de l’exception culturelle.

Pour Washington, à
l’ultralibéralisme débridé, la culture devrait se prêter, au même titre que le
pétrole, le coton ou les cacahuètes, au marchandage, et cela ne devrait
souffrir d’aucune exception.

Au Burkina, comme on le voit, tous ces mercenaires du pillage de nos objets
d’art ne pourraient pas agir facilement s’ils ne rencontraient pas des oreilles
attentives et surtout des ventres affamés prêts à brader ce que nous avons de
plus sacré. Tout comme la morale qui fout le camp, la notion de sacré perd
aujourd’hui de son sens profond.

Dans ces conditions, il ne serait pas
superflu d’intéresser financièrement et matériellement ceux que la tradition a
chargés de veiller à la sauvegarde de ces objets précieux, surtout ceux qui
ont un rôle social et religieux dans le système d’organisation de la société
burkinabè.

Par ailleurs, à défaut de moyens pour asseoir un grand musée
national comme c’est le cas dans les pays occidentaux, il ne serait peut-être
pas insensé d’imaginer la création de musées régionaux où seraient
conservés nos objets sacrés, tout en suscitant l’émergence d’un mécenat
local pour entretenir la flamme de notre attachement à ce qui nous est cher.

Il
n’y a pas de raison que "l’art primitif", si cher au président Chirac, soit méprisé
par les Africains eux-mêmes. En attendant, ne serait-il pas judicieux de faire
un état des lieux de nos oeuvres sacrées, de celles qui ont disparu, afin de
prendre des mesures appropriées en vue de les préserver de tous ces
prédateurs qui écument le pays sous le masque de touristes apparemment
innocents, mais mus par des intentions malhonnêtes ? En définitive, pourquoi
ne pas envisager des états généraux des objets d’art burkinabè ?

Cette
démarche est d’autant souhaitable que les malheurs de ces objets ne
viennent pas exclusivement de l’extérieur. En effet, si le respect du sacré
convainc de moins en moins de gens, cela est dû aussi à certaines influences
des religions importées pour qui l’adoration de ces objets relève du
paganisme.

On oublie sciemment qu’au Burkina, on évoque toujours le nom
de Dieu avant de procéder à des rites sacrificiels. Dans ces conditions, ces
états généraux devraient déboucher sur un consensus qui tendrait vers le
syncrétisme, ce système philosophique ou religieux qui prône la fusion de
plusieurs doctrines différentes. Sans quoi, on assisterait à une profanation à
grande échelle de nos objets sacrés. La véritable raison des malheurs de
l’Afrique, c’est d’avoir aspiré sans discernement, comme un buvard, tout ce
qui est venu de l’extérieur.

Contrairement aux pays d’Asie qui ont su se
prémunir contre certaines influences extérieures, l’Afrique s’est laissé aller à
la dérive. Dans ces conditions, comment inculquer aux générations futures, le
respect du sacré, une valeur qui aurait pu nous vacciner contre le vénin d’une
mondialisation impitoyable, asphyxiante et paralysante dans laquelle nous
sommes des consommateurs impuissants face aux déchets de l’extérieur.

Si
nous voulons rebondir comme l’Asie, il faudrait que nous arrivions à nous
débarrasser de cet antagonisme entre les religions importées et la coutume.
Des tentatives timides ont été faites dans ce sens, mais beaucoup reste
encore à faire.

C’est ensemble que nous devons nous remettre en cause si
nous voulons être à armes égales, avec les autres pays, au rendez-vous de
l’universel. En renonçant à ce qui fait la sève de notre existence, nous ne
pourrons être qu’une pâle copie, une sorte de pièce adaptable de la machine
de la mondialisation, vite jetable dans le cimetière des objets inutiles.

"Le Pays"

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