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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (23)

Publié le mardi 8 novembre 2005 à 09h04min

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Ernest P. Yonli est nommé Premier ministre en novembre 2000

S’il est une chose que l’on déteste en pays mossi, c’est l’irruption de l’international dans la vie quotidienne. La crise ivoirienne, suscitée par la mauvaise gestion des affaires politiques sous la présidence de Henri Konan Bédié qui a pensé trouver dans "l’ivoirité" le catalyseur à toutes ses craintes (dont celle de voir Alassane Dramane Ouattara s’imposer comme son challenger politique) va dégénérer.

La chute de Bédié, le 24 décembre 1999, conduit certains leaders politiques ivoiriens à mettre en cause le régime de Ouagadougou ; une façon de stigmatiser Ouattara "le Burkinabè". Cela tombe mal pour le président Blaise Compaoré qui, à la suite de "l’affaire Zongo", avait entrepris de décrisper la vie politique de son pays.

Selon les recommandations de la commission de concertation sur les reformes politiques dont il avait décidé la mise en place, il avait entrepris de réajuster le mode de fonctionnement politique.

Il faut se rendre à l’évidence : si, ailleurs en Afrique, les tensions politiques empêchent tout développement économique et social, ce n’est pas le cas au Burkina Faso. Il peut bien y avoir
"l’affaire Zongo" qui n’en finit pas d’agiter la jeunesse et l’opposition radicale, il peut bien y avoir les tensions universitaires et les mouvements de grève à répétition, il peut bien y avoir un afflux de réfugiés de Côte d’Ivoire, etc. le Burkina Faso sous la conduite de Compaoré et de son équipe entend poursuivre sa marche en avant.

Il n’est pas un pays africain producteur de coton qui ne se mobilise autant pour la modernisation de la filière (notamment en matière de formation) et, plus encore, pour son totale affirmation sur le marché mondial. François Traoré va gagner, dans ce rude combat, ses galons de porte-parole du monde paysan africain. "Le monde d’aujourd’hui n’est pas fait pour celui qui se plaint mais pour celui qui se défend", disait-il, déjà, au début de l’année 2000.

La décentralisation est devenue un fait majeur ; les communes urbaines et les collectivités locales s’imposent de plus en plus comme les acteurs et les vecteurs du développement. Le programme de privatisations se poursuit accompagnant aussi harmonieusement que possible la politique de libéralisation économique ; ce ne sont pas que les capitaux étrangers qui en sont les bénéficiaires mais, également, les capitaux privés nationaux, y compris ceux des salariés impliqués grâce à la politique de participation.

Dans Afrique Magazine (décembre 1999) et Jeune Afrique (21-27 mars 2000), Emmanuelle Pontié peut, à juste titre, évoquer "l’exception burkinabè" ; "Quand un peuple a pour tradition de s’atteler avec ferveur à des tâches réalisables, c’est finalement un bon moyen de parvenir à déplacer les montagnes".

Les montagnes sont bel et bien déplacées. La physionomie du pays continue de changer. La mutation, bien sûr, est plus visible à Ouagadougou que dans les villes de province (et plus encore les campagnes) ; il suffit de se rendre à Ouaga 2000 pour constater que les projets y prennnent de plus en plus d’ampleur : centre international d’affaires, centre commercial, hôtel cinq étoiles, etc. Les projets s’y multiplient avec la coopération financière de la Libye et de Taïwan notamment.

Au plan strictement politique, l’événement c’est le départ de Kadré Désiré Ouédraogo de la primature. C’est Paramanga Ernest Yonli qui, le 7 novembre 2000, est nommé au poste de Premier ministre. Il a 44 ans. Il est le premier chef de gouvernement non Mossi de l’histoire du Burkina Faso. Ce n’est pas une figure majeure de la vie politique burkinabè mais il connaît bien les arcanes du pouvoir et de l’administration publique.

Gourmantché originaire de Tansarga, dans la province de la Tapoa, économiste du développement, gendre du colonel Saye Zerbo (qui a dirigé la Haute-Volta pendant près de deux ans en 1980-1982), Ernest Yonli est rentré au Burkina Faso en 1986. C’est en 1989 qu’il va rejoindre le parti présidentiel, l’GDP-MT et quand, en février 1996, Kadré Désiré Ouédraogo sera nommé premier ministre, il deviendra son directeur de cabinet.

En mars 1997, il sera élu député de la Tapoa et, quelques mois plus tard, entrera au gouvernement comme ministre de la Fonction publique et du Développement institutionnel. Nommé premier ministre, Yonli va s’attacher à mettre en place un gouvernement "d’ouverture" (un tiers des portefeuilles est confié à des membres de "l’opposition").

"La première année d’exercice du gouvernement n’aura pas été de tout repos, soulignera la lettre d’information du Premier ministère dans son édition du 26 juin-9 juillet 2003. Elle a été surtout consacrée au parachèvement de l’édifice institutionnel suite aux réformes politiques et institutionnelles entreprises par le gouvernement précédent et au lancement des chantiers de développement inscrits dans le Programme pour un développement solidaire du chef de l’Etat".

Pas d’état de grâce. Le Collectif contre l’impunité, l’Association nationale des étudiants du Burkina (Aneb), les partis de l’opposition radicale (dont le PDP de Joseph Ki-Zerbo qui a boycotté les élections municipales du 24 septembre 2000) maintiennent la pression sur la classe politique au pouvoir.

Le régime de Compaoré résiste à la pression politique nationale et diplomatique internationale depuis près de trois ans. "L’affaire Zongo", au lendemain de son élection à la présidence de la République, a été le facteur déclenchant. A Ouaga, on a choisi d’adopter un profil bas.

L’opposition peut bien vociférer à longueur de journée, les "représentants" de la société civile peuvent bien battre le tambour médiatique (y compris dans la presse panafricaine), la capacité d’initiative est toujours dans le camp présidentiel ; l’opposition ne fait que réagir.

Compaoré en fait la démonstration le 30 mars 2001 au stade du 4-Août devant près de 30.000 personnes. Souhaitant "jeter les bases réelles d’une réconciliation natiOfîale ", le chef de l’Etat va demander "pardon" et exprimer "ses regrets profonds pour les brimades et tous les autres torts commis sur des Burkinabè par d’autres Burkinabè, agissant au nom et sous le couvert de l’Etat de 1960 à nos jours". Il annoncera la création d’un fonds d’indemnisation des victimes, l’institution d’une journée annuelle du souvenir et de la promotion des droits de l’homme et de la démocratie, l’érection d’un monument aux morts, etc.

Nul ne peut contester que la "révolution" de 1983 et les années qui ont suivi jusqu’à la période de "rectification" ont été coûteuses en vies humaines, trop souvent dans le cadre de réglements de compte pour lesquels l’action politique n’était qu’un mauvais prétexte. Au cours des années Compaoré, les exécutions et autres éliminations politiques ont été également significatives : elles concernaient cependant essentiellement des responsables politiques. Ce qui ne justifie pas la violence mais comme me le disait alors un homme proche du pouvoir "c’est dans la nature des militaires de solutionner les problèmes à coups de révolver".

L’acquis majeur du régime Compaoré, notamment à compter des premières années de la décennie 1990, a été de normaliser le combat politique et de lui donner un cadre légal d’expression. Mais la libéralisation de l’économie consécutive à la libéralisation de la vie politique a donné de l’appétit à quelques uns. Dans la "patrie des hommes intègres", tous n’avaient pas la même motivation. L’enrichissement rapide a été l’objectif de certains. Avec son cortège de dérives quasi "mafieuses".

L’assassinat de Norbert Zongo relevait, sans doute, plus du crime crapuleux que du crime politique. Il n’est pas facile pour un seul homme d’être à la fois celui qui a conduit la
"révolution" de 1983, qui l’a liquidée en 1987, a instauré la démocratie, a promu son pays sur la scène diplomatique et a instauré une économie de marché.

Dans cette longue métamorphose du Burkina Faso, il y a eu des hommes proches du pouvoir qui n’ont pas pu changer de mentalité. D’où les dérives. Le Burkina Faso n’a pas été le seul Etat a connaître ces dérives. Mais il a été de ceux qui, dans le même temps, se sont construits alors que d’autres se détruisaient.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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