LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (22)

Publié le lundi 7 novembre 2005 à 08h53min

PARTAGER :                          

Juillet 1999. Le président Blaise Compaoré va rendre son tablier de président de l’OUA à l’occasion du sommet des chefs d’Etat organisé à Alger où Abdelaziz Bouteflika a récemment accédé au pouvoir (avril 1998). Le volontarisme et l’activisme diplomatique de Compaoré aura été dérangeant pour une classe politique africaine qui entend ronronner à l’ombre de ses privilèges.

Sa présidence de l’OUA aura été un vrai parcours du combattant. Et ses pairs ne lui ont pas facilité la tâche, n’hésitant pas, quand Compaoré entendait être ferme et déterminé, à le renvoyer à ses affaires et, tout particulièrement, à "l’affaire Zongo". Mauvais calcul.

Le 7 mai 1999, le rapport de la commission d’enquête indépendante mise en place par Compaoré au lendemain de la mort violente de Norbert Zongo concluait à l’assassinat du journaliste et de ses équipiers et mettait en cause, nommément, des éléments de la garde présidentielle.

Suspendus de leurs fonctions, ceux-ci seront mis à la disposition de la justice. Dans la foulée, Compaoré créait un Collège des sages composé de seize membres (dont trois anciens chefs d’Etat) chargé notamment de "proposer le traitement à réserver à tous les crimes impunis ainsi qu’à toutes les affaires d’homicides résultant ou présumant résulter de la violence en politique pour la période allant de 1960 à nos jours".
On peut considérer, bien sûr, qu’il s’agit là d’une opération politicienne opportuniste ; mais quel chef d’Etat africain a eu le courage d’en faire autant ?

N’étant plus en charge des affaires de l’Afrique, Compaoré va se préoccuper avec plus d’attention encore aux états d’âme des Burkinabè. La présidence de l’OUA n’aura pas provoqué de trêve politique dans le pays ; tout au long de l’année 1999, le pouvoir a été confronté à l’assaut quasi quotidien de la société civile et d’une opposition rassemblée au sein du Groupe du 14
février (G-14) qui n’a cessé de réclamer la démission du chef de l’Etat.

Le Collège des sages, qui a rendu ses conclusions le 2 août 1999, préconisait la formation d’un gouvernement d’ouverture. Une ouverture dans laquelle le G-14, pour l’essentiel, refusera de s’engouffrer. Le 12 octobre 1999, Kadré Désiré Ouédraogo, premier ministre depuis près de quatre ans (février 1996) était appelé par le chef de l’Etat à former un nouveau gouvernement chargé de "trouver des voies et moyens pour une réconciliation nationale durable, lutter contre l’impunité et poursuivre les efforts en vue d’un traitement rapide des dossiers en justice dans le strict respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire".

L’ouverture sera limitée ; très limitée. Ce nouveau gouvernement dirigé par "Kadré" sera marqué, principalement, par un départ (celui de Salif Diallo, ministre d’Etat chargé de l’Environnement et de l’Eau) et une arrivée (celle de Boureima Badini, garde des sceaux, ministre de la Justice).

Compaoré qui, dans les jours suivants, passait le cap des douze années au pouvoir, pouvait penser qu’il allait pouvoir se consacrer pleinement, au cours de l’année 2000, aux nécessaires évolutions de sa politique intérieure. Erreur !

Dans la première quinzaine du mois de novembre 1999, plusieurs milliers de Burkinabè sont chassés de leurs villages dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire à la suite d’exactions menées par les Kroumen. Le Burkina Faso fait brutalement irruption dans la crise politique ivoirienne qui couve depuis plusieurs mois pour ne pas dire plusieurs années et s’est exacerbée avec l’arrivée à la présidence du RDR de Alassane Dramane Ouattara en vue d’être le candidat de l’oppositon à la présidentielle d’octobre 2000.

Une jeune journaliste va suivre pour Le Monde l’affaire de Tabou et "la chasse à l’homme" (expression qui est celle du ministre ivoirien de l’Intérieur de l’époque) qui y est menée. Elle s’appelle Fabienne Pompey. Nous nous sommes connus quelques années auparavant à Ouagadougou. Elle venait d’y débarquer, s’y était installée, avait acheté une Mobylette pour circuler comme tout le monde et voulait s’imposer comme journaliste en Afrique. Elle va débuter dans la rédaction de mon magazine, comme pigiste, avant de s’imposer, effectivement, dans la presse nationale française.

Elle était à Tabou au lendemain de la chasse à l’homme et en rapportera des témoignages édifiants. Celui du député de Tabou, Pierre Koffi N’Guessan, un
"admirateur" de Le Pen, qui affirme : "Il faut chasser tous les étrangers". Celui de Bartehélemy Djabla, évêque de San Pedro, qui prédit : "Ce qui s’est passé à Tabou n’est qu’un indice de ce qui couve un peu partout".

Le gouvernement burkinabè estimera qu’environ 12.000 personnes d’origine burkinabè ont été expulsées de Côte d’Ivoire en deux semaines.

Depuis plus d’une décennie, je vis, pratiquement au jour le jour, l’évolution de la situation politique, économique et sociale de la Côte d’Ivoire. En avril 1999, je faisais la "une" de mon magazine avec un titre provocateur : "Pourquoi Alassane Ouattara sera président" ; en juillet 1999, je posais, toujours en "une", la question suivante : "Le système Bédié est-il à l’agonie ?". Le magazine sera interdit de diffusion en Côte d’Ivoire. Mais la réponse à ma question arrivera cinq mois plus tard avec l’expulsion de Henri Konan Bédié du pouvoir et l’installation à Abidjan du général Robert Gueï.

La chute de Bédié et l’arrivée des militaires au pouvoir en Côte d’Ivoire sont des événements suivis avec attention à Ouaga. Il y a plusieurs millions de Burkinabè installés, pour la plupart, depuis des décennies chez le grand voisin du sud ; le port d’Abidjan est la porte d’entrée et de sortie des marchandises à destination ou en provenance du Burkina Faso. Et les autorités de Ouaga sont d’autant plus préoccupées par ce qui se passe en Côte d’Ivoire que le principal opposant à Bédié, considéré du même coup comme le bénéficiaire (et parfois même le promoteur) du coup de force militaire du 24 décembre 1999, Alassane Dramane Ouattara, est systématiquement dénoncé comme étant un "Burkinabè".

L’arrivée au pouvoir de Gueï ne va résoudre aucun problème ; bien au contraire. En Côte d’Ivoire, où une présidentielle doit être organisée en octobre 2000, la tension va être vive tout au long de l’année entre présidentiables mais également au sein de la junte. L’OUA a d’ailleurs mis en place un Groupe des dix, sous la présidence du Togo (Eyadéma préside alors l’organisation panafricaine), qui s’efforce d’apporter sa médiation aux crises qui ponctuent la vie politique de la Côte d’Ivoire. Le Burkina Faso est membre de ce groupe aux côtés de l’Afrique du Sud, de l’Algérie, de Djibouti, du Gabon, du Ghana, du Mali, du Nigeria, du Sénégal et, bien sûr, du Togo.

La Côte d’Ivoire va être un abcès de fixation dont le Burkina Faso se serait bien dispensé. Après" l’affaire Zongo", loin d’être règlée malgré les avancées dans le dossier judiciaire (le 18 août 2000, trois militaires de la garde présidentielle seront condamnés à des peines de vingt et dix ans de réclusion dans l’affaire du chauffeur du frère cadet du chef de l’Etat ; certains d’entre eux sont des "suspects sérieux" dans "l’affaire Zongo "), voilà le régime de Ouaga présenté comme un "faiseur de roi".

La chute de Bédié n’a pas attristé la classe politique burkinabè : sa politique dite de "l’ivoirité" avait d’autant plus agacé que le "miracle ivoirien" dont aimait à revendiquer la paternité l’ex-ministre délégué aux Affaires économiques et financières était imputable, d’abord, au travail fourni par les quelques millions de Burkinabè qui, depuis des décennies, avaient trimé en Côte d’Ivoire.

Le général Robert Gueï en reprenant à son compte, tout à la fois, le mot d’ordre "d’ivoirité" et la campagne contre Ouattara "le Burkinabè", allait d’autant plus pourrir les relations entre Abidjan et Ouaga, que Laurent Gbagbo, pressentant qu’il avait une carte à jouer et que "le jour de gloire était arrivé", faisait alliance avec Gueï contre Ouattara, Bédié et les autres.

Or, pendant de longues années, Gbagbo a bénéficié de "l’aimable compréhension" de Compaoré vis-à-vis de son combat politique. A Ouaga, très vite, on a compris qu’après Bédié et Gueï le pire étant sans doute à venir avec Gbagbo.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
LA Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Blaise Compaoré en visite chez son voisin Henri Konan Bédié
Et Blaise Compaoré devint Ivoirien !