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"Le problème au sein de l’opposition, c’est nos chefs de partis" selon M. Salif Ouédraogo

Publié le mercredi 2 novembre 2005 à 06h46min

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Salif Ouédraogo

Dans l’effervescence de l’actualité politique dominée par la campagne présidentielle, nous avons rencontré le président du groupe parlementaire "Justice et démocratie" (Opposition), le député Salif Ouédraogo. Il nous donne sa perception de l’enjeu de cette élection.

Tout en dénonçant les dangers que comporte la ré-élection du président sortant, il ne caresse pas non plus l’opposition burkinabè qui s’illustre dans l’arène politique par ses crises intestines et incessantes. Il est bon de préciser que les opinions du député Salif Ouédraogo sont strictement personnelles et n’engagent pas le groupe parlementaire "Justice et démocratie".

Hebdomadaire du Burkina (H.B.) : Monsieur le député, à quelques semaines de l’élection présidentielle, quelle est l’atmosphère qui règne au sein de votre groupe parlementaire "Justice et démocratie" qui a toujours deux candidats en lice ?

Salif Ouédraogo (S.O.) : Les périodes électorales sont les périodes les plus intenses sur le plan politique des principaux acteurs de la vie nationale. Au niveau du groupe parlementaire "Justice et démocratie", nous avons un candidat. Avant ils étaient trois candidats, mais Me Bénéwendé Sankara n’est plus député à l’Assemblée nationale donc il n’est plus membre du groupe parlementaire et Hermann Yaméogo comme vous le savez s’est retiré de la course.

Le seul candidat qui reste est Philippe Ouédraogo du PAI. Au niveau de l’Alternance 2005 nous n’avons pas le même avis après le verdict de la Cour constitutionnelle. Disons que tous les partis, les bureaux politiques et leurs structures sont en train de s’organiser sur le terrain dans les villages, les secteurs, les départements et les provinces pour la mise en place de leur structure de campagne.

Donc, c’est un climat plus ou moins d’effervescence, d’anxiété et d’incertitude. Parce que ce sont des moments critiques qui font qu’au niveau du groupe parlementaire, il nous est difficile de nous retrouver tous ensemble. Puisque beaucoup sont en campagne. Bref pour vous dire que c’est un climat serein qui n’étonne pas.

Il faut dire que les gens sont dans le groupe parlementaire à titre individuel mais pas au nom de leurs partis. Ce sont des députés, ce ne sont pas les partis qui sont liés structurellement. Le groupe parlementaire se compose de député et une fois qu’on est élu député, on est député de l’Assemblée nationale. Nous nous sommes retrouvés parce que nous partageons certaines sensibilités, certains points de vue pour constituer le groupe parlementaire "Justice et démocratie". Et dans ce groupe, il est donné à tout un chacun individuellement de se présenter s’il veut être candidat à la présidence de la République.

Nous continuons à faire nos réunions pour ce qui est du groupe parlementaire et tout se passe normalement.

Ce qui fait la particularité de cette élection c’est qu’il y a douze partants dont des "indépendants". Selon vous, doit-on admettre sans conditionnalité les candidatures à la présidence du Faso ?

C’est la constitution qui détermine cela. C’est la loi fondamentale qui dit que pour l’élection présidentielle, tout Burkinabè en âge de voter, majeur, qui n’a pas de problème avec la justice, peut être candidat. C’est comme partout ailleurs dans le monde ou la plupart du temps il y a des candidatures qui sont présentées par des structures organisées qu’on appelle généralement des partis politiques, mais aussi il y a des individus qui se présentent sans sensibilité et qui se lancent dans la bataille politique. C’est ce qu’on appelle les candidatures indépendantes.

Nous pensons en ce qui concerne l’élection présidentielle ne pas limiter le choix de nos concitoyens. S’il se trouve qu’un candidat indépendant fait leur affaire on ne doit pas empêcher sa candidature. C’est une fonction qui est assurée par un individu au nom de la nation. Alors on ne doit pas mettre des barrières pour empêcher des candidatures indépendantes. Donc je trouve normal que toute personne qui veut être candidat se présente.

La principale bataille que l’opposition a menée a été celle visant l’invalidation de la candidature de Blaise Compaoré. Maintenant, que la Cour constitutionnelle a tranché, que pensez-vous de cette décision qui estime recevable la candidature de Blaise Compaoré ?

C’est une décision de justice. Mais ce n’est pas forcément la vérité absolue. Dans le monde, que ce soit en Afrique, au Burkina Faso où ailleurs il arrive qu’une décision de justice ne soit pas fondée juridiquement.

Ce n’est pas parce que la justice a dit quelque chose que c’est vrai. On a mis en place des structures, certains y croient, d’autres n’y croient pas. Parce qu’ils pensent que ces structures ne sont pas indépendantes, d’aucuns pensent qu’elles peuvent jouer le rôle, etc. Quand il y a une décision de justice, alors il y a deux choix. Où on l’accepte parce qu’on croit à ces structures lorsqu’on y a fait le recours ou on ne croit pas.

La juridiction en elle-même n’est pas neutre. Elle est animée par des humains et les humains ont leur force, leur faiblesse et leurs intérêts. Ceux qui pensent que les structures qu’on met en place sont neutres se trompent. Il ne faut pas que nous trompions les Burkinabè. C’est une institution qui a été installée par un pouvoir en place. Ça serait étonnant à l’étape actuelle de notre démocratie que cette structure aille à l’encontre de la volonté de l’exécutif. Quand vous voyez le mode de nomination des gens qui l’animent en majorité c’est le président de la République qui les a désignés.

Nous nous sommes toujours interrogés, à savoir est-ce que les structures qu’on met en place sont indépendantes ? Est-ce qu’elles sont animées par des gens qui sont décidés à mettre l’intérêt supérieur de la nation au-dessus de leurs intérêts partisans ?

Quand je parle, c’est sans a priori, c’est sans parti pris. Mais je dis qu’à l’étape actuelle de notre démocratie ce n’est pas encore le cas. Et que les pouvoirs sont entre les mains de l’exécutif, de la présidence.

On a mis en place des institutions républicaines mais qui ne sont pas fonctionnelles. Elles ne sont pas autonomes, ni financièrement, ni en ressources humaines. C’est en ce sens que nous mettons en cause les décisions qui ont été prises par les instances judiciaires. Ce n’est pas parce que la Cour constitutionnelle l’a dit qu’on doit admettre que c’est la vérité.

La loi fondamentale dit qu’aucun Burkinabè ne peut faire plus de deux mandats successifs. Que ça soit pour l’avenir, ou pour le passé on ne peut pas faire plus de deux mandats à la présidence. Que la loi doit être appliquée avant ou après, c’est un autre problème. Moi en tant que Burkinabè, si j’ai déjà fait deux mandats de sept ans (donc 14 ans) et qu’on vote une loi disant que dorénavant les Burkinabè ne peuvent pas faire plus de deux mandats, je me pose une question à savoir si ça s’applique à moi. Parce que c’est trop facile de jouer à ce jeu. Les structures qu’on met en place on peut les changer en fonction des événements. Moi, cela ne m’étonne pas, parce que pour moi la démocratie au Burkina Faso est fonction du rapport des forces entre les protagonistes de la scène politique.

Ce n’est pas encore la vrai démocratie, ce n’est pas encore le vrai droit. C’est le reflet d’une situation d’état d’exception et actuellement c’est le parti au pouvoir, l’exécutif qui a le rapport de force. Mais le jour ou ce rapport de force va changer tout changera. Nous avons vu en Afrique que cette tendance de se pérenniser au pouvoir débouche sur des crises.

Lorsque les gens voient qu’il n’y a pas d’alternative, parce que le jeu démocratique est bloqué, et qu’il n’y a pas d’issue que vont-ils faire ? C’est là aussi le problème de fond. Il y en a qui sont prêts à n’importe quoi. C’est là que nous disions qu’il faut que nous soyons tous conscients que ce pays appartient à tout le monde et qu’une fonction n’est pas faite pour un individu. Il y a autant de Burkinabè qu’autant de personnes compétentes capables d’assumer les fonctions de président, ministre, d’ambassadeur de directeurs de société, etc.

Ce ne sont pas des fonctions à vie, ce n’est pas un pouvoir traditionnel. C’est un pouvoir moderne et l’essence même de ce pouvoir moderne, c’est l’alternance à tous les niveaux. Si nous voulons que notre démocratie vive, alors nous devons avoir le courage d’aller vers l’alternance. Ce n’est pas un problème d’individu, mais de vision de ce que nous voulons pour notre pays.

Cela fait dix-huit ans que Blaise Compaoré est au pouvoir, je pense qu’il aurait pu s’arrêter et laisser passer un autre candidat du CDP, puis revenir au bout de cinq ans. Je le dis en tant qu’homme politique lucide, peut-être que celui qui va le remplacer ne serait pas mieux que lui, mais c’est le principe même de la démocratie.

Pourquoi la candidature de Blaise Compaoré fait peur ?

Moi je ne suis pas candidat. Mais je ne pense pas que les gens ont eu peur de la candidature de Blaise Compaoré. Même s’il y en a qui ont eu peur peut-être qu’il y a une raison. Vous savez qu’en Afrique plus vous restez au pouvoir plus vous contrôlez toute la chaîne.

Le président Compaoré a presque toutes les composantes de la société avec lui (ministres, ambassadeurs, opérateurs économiques, etc.) pour des raisons diverses. Dans les pays analphabètes, qui détient la bourse, détient presque tout.

Les gens se rabattent donc vers ceux qui ont les moyens pour résoudre leurs problèmes existentiels, ceux qui peuvent leur donner du travail, des marchés, etc. C’est pour cela que certaines personnes de l’opposition ont peur du président Blaise Compaoré.

Il a des appuis étrangers comme à l’intérieur. Il a eu le temps de s’asseoir avec sûreté. C’est ça qui fait qu’il y a une différence entre lui et les autres candidats. Le pouvoir en place a une assise administrative, économique et financière et c’est très important dans nos pays. Voici les raisons que je peux avancer, mais je peux me tromper aussi.

Votre groupe parlementaire avait présenté trois candidats. Qu’est-ce qui entrave un front unique ?

C’est le problème de l’opposition. Quand vous êtes venu pour m’interviewer, je vous ai dit que je parlerai honnêtement. Ce n’est pas parce que je suis de l’opposition que je vais caresser l’opposition. Nous avons souhaité qu’il y ait un nombre limité de candidat au sein de l’opposition.

Nous avons voulu que les sankaristes se retrouvent pour choisir un candidat sankariste. Que la famille libérale se retrouve pour désigner son candidat et que la famille social-démocrate avec le PDP/PS se retrouve pour le choix de leur candidat. Avec cette stratégie on espérait que ça allait marcher. Malheureusement cette attente n’a pas prévalu. Parce que les gens qui n’ont pas été maintenus ont dit qu’ils vont se maintenir.

Quel que soit ce parti d’opposition les militants à la base veulent l’union. Notre problème au sein de l’opposition c’est nos chefs de partis sinon la base veut l’unité. Chacun veut être candidat et c’est dommage. Il y a des gens qui jouent à l’opposition et qui ne sont pas des opposants. Ce n’est pas un problème de projet de société qui divise l’opposition, ce sont des problèmes d’individus. Mais nous le déplorons tous.

Croyez-vous encore à la force de l’opposition d’être un contre-pouvoir du régime en place ?

J’y crois. Tant qu’il y a la vie, il y a de l’espoir. Un pouvoir n’est pas éternel. On n’est pas éternellement fort. Eux-mêmes le savent. La vie est un cycle où on a des phases de croissance, de stabilité et de déclin.

Il faut savoir à un moment "t" quitter les affaires avant qu’elles ne vous quittent. S’il n’y a pas d’alternance dans ce pays, c’est le chaos. Parce que ceux qui ne sont pas d’accord avec le pouvoir ne vont pas croiser les bras éternellement. Forcément un jour viendra où il y aura cette alternance. Ne croyez pas que nous sommes désespérés. Nous avons nos lacunes dans l’opposition, mais nous savons qu’en face, il y a des lacunes. Nous savons aussi que la vie est une évolution et que le changement est inéluctable.

Que pensez-vous de l’attitude de certains partis de l’opposition qui soutiennent la candidature de Blaise Compaoré ? Nous faisons allusion à l’ADF/RDA, au PPDS, etc.

Moi je n’étiquette pas. Je dis qu’en démocratie, c’est un jeu de rôle. Il y a la majorité qui gouverne et il y a l’opposition qui s’oppose. Si on est de la majorité on connaît les droits et les devoirs de la majorité. Si on est de l’opposition aussi on sait ce qu’on appelle opposition. On s’oppose à un système politique, dont je ne partage pas les options. Au Burkina Faso c’est le CDP et son patron est Blaise Compaoré. Dire qu’on est de l’opposition et qu’on supporte Blaise Compaoré, mais pas le CDP, c’est de l’aberration, de la comédie. Parce que personne ne pourra séparer Blaise Compaoré et le CDP. C’est grâce au CDP qu’il est là aussi.

Autant le CDP a intérêt à ce que Blaise survive, autant le président Blaise Compaoré a intérêt à ce que le CDP survive.

Donc quand vous rencontrez des partis politiques ou des individus qui disent qu’ils supportent Blaise Compaoré mais pas le CDP ça me fait rigoler.

Peut-être que ces personnes ont des ambitions personnelles ou collectives qui les amènent à supporter le président. Mais logiquement en démocratie, lorsque les règles de jeu sont claires et qu’on ne peut pas tromper le mandat donné par son électorat on doit savoir que lorsqu’on dit qu’on est de l’opposition, cela implique une attitude vis-à-vis de l’exécutif en place.

Mais ça ne m’étonne pas. Au Burkina Faso, plusieurs personnes disent qu’elles sont de l’opposition et ne sont pourtant pas des opposants. Vous les voyez par leurs gestes, leurs écrits et leurs comportements, ils sont plus à l’aise avec la majorité que les opposants. Donc je ne porte pas de jugement mais j’observe. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de moment ou l’opposition et la majorité peuvent s’asseoir et travailler ensemble mais c’est à une situation particulière où on discute en partenaire, on harmonise les points de vue qu’on met en place. Là c’est correct et conforme.

Si nous voulons que la démocratie s’approfondisse, il faut que nous évitions cela. Ça déroute aussi bien l’opinion nationale qu’internationale. Ça déroute les militants, l’opposition et même la majorité.

Le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) donne dans son deuxième Faso baromètre 67% d’intention de vote à Blaise Compaoré, 3,3% à Me Bénéwendé Sankara, 1,1% à Me Hermann Yaméogo, etc. Comment avez-vous accueilli ce sondage ?

Ça ne me dérange pas. Je suis stoïque et rien ne m’étonne. Le processus électoral est faussé dès le départ. En 2002 nous avons critiqué et remis en cause le fichier électoral. On a promis qu’il y aura un fichier électoral qui sera mis en place pour empêcher les doubles inscriptions. Mais je vous dits que le fichier électoral actuel est pire que celui de 2002. Une ville comme Ouagadougou a un taux d’accroissement d’inscrits de 59 à 60% à partir de la révision de 2005. Nous avons fait le tour des bureaux de vote lors des inscriptions. Nous avons constaté qu’il n’y a pas d’affluence et on vient nous dire qu’à Ouagadougou il y a 60% de plus de taux d’inscription. Ce sont des histoires, le fichier est un scandale alors que c’est la base de tout.

Nous voulons un fichier électoral nettoyé pour que les élections soient libres et transparents et le gagnant soit applaudi par les perdants.

Avec ce fichier électoral aucun candidat ne pourra connaître sa force réelle. Quand le sondage dit que Blaise Compaoré à 67%, Sankara 3%, Hermann 1%, c’est un sondage fait par une institution qui n’a pas la qualité de faire cela.

C’est une diversion qu’ils ont voulu tenter. Ce sont des informations dont nous prenons acte. Je ne remets pas en cause la valeur scientifique de la CGD. Mais je dis que le CGD n’est pas un institut de sondage. C’est une indication que le CGD a donnée. C’est aux candidats de tirer les leçons, nous aussi hommes politiques et l’ensemble de la population. C’est le début : peut-être que dans dix ans ça serait encore plus affiné.

Si le président Compaoré venait à remporter l’élection comme le prédit le sondage, comment verrez-vous l’avenir de la démocratie au Burkina Faso ?

L’avenir de la démocratie serait en construction. S’il remporte les élections, il gouvernera avec sa majorité. C’est à l’opposition de s’organiser pour continuer la lutte en espérant un jour l’alternance ou c’est le chaos.

Moi en tant que républicain et démocrate, je suis contre la violence. Nous voulons des dirigeants qui mettent au-dessus de tout l’intérêt de la nation, du peuple burkinabè. Prions tous ensemble que le jeu démocratique s’approfondisse, que les rôles soient bien définis et que chacun joue le rôle qui lui revient. L’avenir de la démocratie n’est pas un problème d’individu, la presse aussi a sa partition à jouer. C’est un problème national à la solution duquel nous devrions tous œuvrer.

Quel est votre souhait à tous les candidats de l’opposition qui prennent part à la course pour le fauteuil présidentiel ?

Je les encourage tous. Beaucoup de courage et de persévérance. J’espèce que chacun tirera les leçons au sortir de cette élection présidentielle. Mais mon souhait le plus ardent était que nous puissions avoir au niveau de l’opposition deux à trois candidats. Le vin est tiré il faut le boire. Je leur souhaite à tous bonne chance. Qu’à l’issue de l’élection, l’opposition se retrouve, fasse le bilan et tire des enseignements.

Parce qu’après l’élection présidentielle, il y aura les municipales et les législatives. Si ça marche tant mieux : dans le cas contraire il faut rechercher l’unité pour les prochaines échéances. C’est la seule façon si nous voulons le changement au Burkina Faso.

Interview réalisée par Théodore ZOUNGRANA
L’Hebdo

P.-S.

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