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Tchad : Les rivalités Zaghawa menacent le fauteuil du président Idriss Déby

Publié le lundi 31 octobre 2005 à 07h38min

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Après la mutinerie de mai 2004, c’est un mouvement de désertion qui lézarde la communauté zaghawa d’où sont issus le président Idriss Deby et sa hiérarchie militaire. Le 14 octobre dernier, le pouvoir a admis une quarantaine de désertions et évoqué une simple grogne militaire tandis que, de l’Est frontalier du Darfour, s’élevaient des revendications politiques formulées par un certain Yaya Dillo Djerou.

Ce dernier se présente comme un ingénieur civil en rupture de ban avec le Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti du président Deby. Il se réclame de 640 déserteurs répondant à sa férule de « président du collège révolutionnaire » et organisés dans un nouveau mouvement politico-militaire au sigle évocateur de Scud (Socle pour le changement, l’unité nationale et la démocratie). Scud ou Socle, la contestation ébranle les fondements du pouvoir Deby, qui vient de dépêcher des émissaires sur place.

Dans la nuit du 16 au 17 mai 2004, un premier coup de semonce avait secoué les allées du pouvoir et tout particulièrement le carré zaghawa de l’armée. Mutinerie ou tentative de coup d’Etat, l’équipée nocturne rassemblait en tout cas, plusieurs dizaines de mécontents, parmi lesquels des officiers de la Garde rapprochée d’Idriss Deby, des éléments de la Garde républicaine ou même de la Garde nomade et nationale. Bref, des piliers du pouvoir.

A l’époque, N’Djamena avait prêté aux insurgés des motivations « liées à des besoins sociaux » et s’était bien gardé de faire savoir ce qu’il était advenu d’eux. Des signes avant-coureurs avaient toutefois permis d’identifier le Darfour comme pomme de discorde avérée dans la communauté zaghawa. Les désertions d’aujourd’hui donnent une autre portée aux critiques venues hier de l’intérieur du clan Deby, contre sa politique dans le conflit soudanais.

La communauté zaghawa est ancrée dans l’Est tchadien et le Darfour soudanais. Avantage stratégique au temps où Idriss Deby se battait pour arracher le pouvoir à Hissène Habré, cette implantation reculée constitue aujourd’hui un atout aux mains de ceux qui lui contester le pouvoir. La grogne de la hiérarchie zaghawa de l’armée tchadienne a commencé l’année dernière par des récriminations que les choix diplomatiques du chef de l’Etat vis-à-vis du conflit du Darfour où des villageois zaghawa du Soudan sont en proie aux milices gouvernementales Djanjawid.

Dans cette guerre civile, lancée en février 2003, sur fond de partage du pactole pétrolier soudanais entre le Nord et le Sud, les militaires zaghawa du Tchad auraient préféré voir Idriss Deby prendre fait et cause pour la rébellion du Darfour, plutôt que d’endosser les habits de médiateur et de rappeler à l’ordre ceux qui fournissaient un appui en sous-main.

Les déserteurs demandent le départ de Deby

Aux dernières nouvelles, données par Yaya Dillo Djerou, les ralliements au Sud se poursuivraient, avec, tout récemment, celui de quatre commandants arrivés avec leurs unités d’Adré, à la frontière soudanais, à quelque 800 km au Nord-Est de N’Djamena. L’objectif déclaré du Scud est « de faire tomber la dictature et de mettre en place un régime démocratique sur la base d’un consensus national ». Pour ce faire, le Scud prévoit même une porte de sortie pour Deby et promet de garantir « sa sécurité vers la destination de son choix » s’engageant même « à ce qu’il n’y ait pas de poursuites ». A défaut, menace-t-il, « nous allons nous battre ».

Pour sa part, Idriss Deby tient visiblement très fort à garder la main à N’Djamena, voire entrer dans le cénacle africain des présidents à vie. Le 6 juin dernier, un référendum constitutionnel lui a d’ailleurs ouvert la possibilité d’un troisième mandat. Tout en minimisant la situation trouble des garnisons de l’Est tchadien, N’Djamena a toutefois dépêché une délégation à Abéché, à une centaine de km de la région où les déserteurs se sont retranchés, pour entamer des pourparlers, composée d’officiers supérieurs, d’ex-responsables militaires, de cadres politiques et de chefs traditionnels zaghawa, cette délégation risque de ne pas avoir la représentativité réclamée haut et fort par le Scud qui accuse N’Djamena de vouloir seulement « gagner du temps ». « Il ne s’agit pas de revendications personnelles ou salariales comme l’a dit le gouvernement », assure Yaya Dillo Djerou, affirmant que « l’armée a en grande partie déserté ».

Si le mouvement des déserteurs n’est pas aussi massif que s’en targue le Scud, il est suffisant en tout cas pour inquiéter les humanitaires qui ont décidé mardi dernier de réduire de moitié leurs personnels basés à Hadjar, une localité de l’Est du Tchad où s’entassent des dizaines de milliers de réfugiés soudanais.

Selon la porte-parole du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies, Ginette Le Breton, les « voitures doivent circuler en convoi » pour parcourir les quelque soixante-dix km qui séparent Forchana d’Adré, le camp retranché du Scud. « La situation dans l’Est du Tchad est calme et sous contrôle total de l’armée nationale tchadienne », assure, au contraire, N’Djamena. Il n’en est pas moins évident que le cancer du Darfour a déjà produit ses premières métastases de l’autre côté de la frontière. Et cela, dans le vif du pouvoir tchadien.

Tandis que dans l’Est, des populations misérables voient l’aide internationale cibler les seuls réfugiés soudanais, tandis que dans ces mêmes confins désolés, des militaires issus du clan au pouvoir tentent de jouer les francs-tireurs à l’instar peut-être de leurs cousins rebelles soudanais et sur le modèle qui réussit jadis à Idriss Deby, les tensions montent aussi à N’Djamena avec l’ère pétrolière ouverte en 2003.

Les premiers barils d’or noir extrait au Sud du pays n’ont pas du tout amélioré l’ordinaire des citoyens tchadiens. Dans son classement 2004 des pays les plus corrompus, Transparency international donne le bonnet d’âne au Tchad. Mais c’est sans doute le cadet des soucis des déserteurs zaghawa. Le « Scud » qu’ils se proposent de lancer menace en tout cas de sonner le glas d’une affaire de famille.

Monique Mas
(RFI)

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