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Partenariat des Intellectuels Burkinabè pour le Développement : Déclaration sur la vie politique nationale

Publié le mercredi 26 octobre 2005 à 08h27min

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Justin Koutaba

L’histoire politique, institutionnelle et juridique de notre pays sera une fois de plus marquée par l’élection présidentielle du 13 novembre 2005, la troisième de la IVe République.

L’enjeu est considérable car il s’agira pour tous les citoyens burkinabè jouissant de leurs droits civiques et politiques, de participer à la gestion des affaires de l’Etat et de la société en choisissant de façon libre et souveraine parmi les nombreux candidats à la magistrature suprême, celui-là même qu’ils jugeront qualitativement digne et riche de vertus pour conduire les destinées de la nation cinq ans durant comme le prévoit la Constitution.

Il serait faux de croire que les partis politiques dans leur diversité, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, sont les seuls concernés par cet événement d’une grande importance. L’élection du Président du Faso interpelle toutes les composantes de la société. L’élite intellectuelle est particulièrement interpellée dans la mesure où elle a un devoir d’éclairage et de regard critique sur la société et les hommes qui en assurent la gouvernance. « A défaut que les philosophes soient rois, il faut que les rois soient philosophes », disait le philosophe grec Platon.

Réaffirmant cette nécessité de l’éclairage de l’intellectuel pour la conduite de l’Etat, l’homme de sciences du 17e siècle, Francis Bacon écrivait : « si les Etats sont dirigés par des hommes d’Etat empiriques, sans alliance avec des hommes bien instruits, cela ne peut que conduire à des conséquences redoutables ». C’est conscient de ce devoir de l’intellectuel et convaincu que se taire c’est faillir à sa vocation que le Partenariat des Intellectuels Burkinabè pour le Développement (PIBD), une fois de plus et à l’instar d’autres mouvements d’intellectuels, entend par la présente déclaration, participer à la vie politique par la réflexion dans la perspective de l’approfondissement de la démocratie et du développement.

L’émergence d’un nouveau paradigme

Comme tout observateur de la scène politique nationale, il nous est donné de constater la pluralité des candidatures déclarées aux fonctions de président du Faso. Nombreux sont ceux qui s’interrogent à juste titre sur le sens et la portée de ce nombre élevé des candidats émanant des partis et formations politiques qui, égaux en droits et en devoirs, et de façon libre, les ont désignés pour participer à la conquête de la plus haute fonction de l’Etat. D’aucuns pensent que la multitude des candidatures n’est que le reflet de douteuses et opportunistes combinaisons politiciennes et de calculs bassement utilitaristes qui n’ont de motivation que le souci alimentaire, l’intérêt égocentrique.

Le PIBD ne s’octroie aucun droit de préjuger de la capacité, de l’intégrité intellectuelle, de l’ambition réelle et désintéressée des uns et des autres à conduire la destinée de notre peuple. Il reste persuadé que la pluralité des candidatures témoigne de l’existence d’un espace de droit et de liberté dans notre pays. Elle marque la volonté et la résolution lucide de nos hommes politiques à s’engager dans un processus de consolidation et de renforcement de la démocratie en rompant de façon décisive avec les méthodes antidémocratiques de conquête et de conservation du pouvoir politique propres aux régimes d’Etats d’exception ou de régimes à parti unique où l’opposition politique n’a guère droit de cité. Dans certains pays, le simple fait de vouloir être candidat constituait la voie idéale vers la privation de liberté, l’exil voire la mort.

Le PIBD ne peut donc que saluer le courage de la classe politique qui, malgré les périodes sombres que l’histoire politique de notre pays a connues, a pris conscience de la nécessité de s’engager dans un processus de démocratie apaisée, seule garante d’un développement durable. Le PIBD se réjouit que depuis 1991, après la période révolutionnaire où la liberté et les droits des citoyens n’étaient pas les choses du monde les mieux partagées, le droit d’être candidat soit reconnu à tous ceux qui le désirent pour peu qu’ils en remplissent les exigences constitutionnelles. L’émergence d’une nouvelle mentalité politique pour ne pas dire d’un nouveau paradigme politique réellement fondé sur le principe de la souveraineté populaire et sur le respect des règles de jeu institutionnel témoigne de la volonté de tous les acteurs de la scène politique nationale à s’engager dans la conquête ou la conservation du pouvoir par des moyens légaux et civilisés.

Consolider l’édifice institutionnel et républicain et agir de telle sorte que dans l’espace politique burkinabè le droit de la force cède toujours la place à la force du droit doit être le devoir constant de tout citoyen qui cultive l’amour de la patrie. Ce qui a été fait depuis l’adoption de la constitution en 1991 en matière de droits et de libertés politiques n’est pas négligeable. ll faut donc poursuivre les efforts afin d’assurer la stabilité et la paix sociale nécessaires à un développement économique.

Le respect de la res publica

Certains maux de la société tels que la corruption, la mal gouvernance de la chose publique, le détournement des deniers publics, l’enrichissement illicite, l’incivisme, l’insécurité, font l’objet d’une production éditoriale surabondante, témoignage des inquiétudes et des préoccupations actuelles des citoyens. Les rapports de certains hommes ou partis politiques avec l’argent ont fait également la une des journaux.

Outre le fait que certains comportements sont de nature à détruire la crédibilité des hommes politiques et à susciter des questionnements quant aux motivations réelles de ceux qui créent des partis politiques ou simplement « font la politique » force est de reconnaître que la question de la gestion des deniers publics nous rappelle la nécessité de ne pas reléguer au second plan la réflexion sur la dimension morale et éthique de la politique. Sa prise en compte nous semble nécessaire parce que la pratique démocratique présuppose des valeurs et des normes qui la fondent, l’orientent et lui assignent un sens.

Le PIBD se fait alors l’obligation morale de rappeler à ceux qui ambitionnent de conduire les affaires de l’Etat au plus haut niveau que « servir l’Etat et non se servir de l’Etat » doit être le devoir constant de tout citoyen. La loi prévoit les sanctions applicables à tous ceux qui choisissent d’user des moyens illégaux pour servir leurs intérêts égoïstes. Il faut donc espérer que la lutte contre l’impunité sera en bonne place dans les projets sociopolitiques des candidats à l’élection présidentielle.

C’est un fait difficilement contestable que les citoyens ont une soif de plus en plus pressante de transparence, de bonne gouvernance, de justice et d’équité. Toute autre attitude vis-à-vis de ces préoccupations sera de nature à conduire les citoyens à désespérer des hommes politiques, voire de l’élite politique et intellectuelle. En tout état de cause il faut savoir que quand ces maux ne sont pas combattus dans un pays, ils finissent par entamer non seulement la crédibilité de la classe politique dirigeante, à provoquer la désaffection progressive des citoyens vis-à-vis des partis politiques, mais aussi à permettre tout simplement l’installation de l’apathie politique et de l’indifférence civique. L’utilité publique des partis politiques deviendra dès lors de moins en moins évidente, quand elle n’apparaîtra pas, purement et simplement, comme étant négative. Par ailleurs les citoyens finiront par entretenir le scepticisme sur la capacité des autorités de l’Etat à imposer l’ordre, la discipline, le respect de la res publica. C’est dire que le diagnostic fait de l’agonie de la morale nécessite une thérapie conséquente.

Les attentes du PIBD

Les élections présidentielle se tiendront au moment où enseignants, écoliers, élèves et étudiants entament une nouvelle année scolaire et universitaire. L’autopsie des maux et des énormes difficultés qui minent notre système éducatif a été faite maintes fois. Structure regroupant des intellectuels de ce pays, le PIBD, soucieux de la formation de l’élite intellectuelle et conscient que le développement passe nécessairement par la formation des cadres, ne peut garder un silence coupable sur la question de l’éducation. Sur le plan infrastructure et humain des efforts ont été accomplis par le gouvernement. Il faut être de mauvaise foi pour ne pas le reconnaître. Mais force est de reconnaître aussi que beaucoup reste à faire à tous les niveaux du système éducatif. Notre université nécessite une attention très particulière.

En effet les infrastructures (salles de cours, amphithéâtres, laboratoires, bibliothèques, bureaux, cités universitaires, toilettes, etc.,) ne correspondent plus à la réalité des effectifs en croissance exponentielle. Etant en nombre très insuffisant et démotivés par des salaires très insuffisants, les enseignants perdent le sens de leur mission et le goût de leur vocation. Un projet de société qui ne ferait pas de cette situation sa priorité ne devrait pas mériter une attention. Accorder une attention marginale ou une indifférence à la question de l’éducation, c’est faire le choix d’un pays qui ne connaîtra jamais le développement.

C’est pourquoi, exigeant de la part des dirigeants un sursaut de lucidité, les réponses aux préoccupations dans le secteur de l’éducation sont nécessaires et urgentes. Il n’est pas donné à n’importe qui d’être le premier responsable d’un pays même si le rêve est un droit. L’exercice du pouvoir est d’autant plus difficile dans un contexte de pauvreté. Légion sont les exemples en Afrique où le salaire mensuel, aussi modeste soit-il, n’est plus garanti.

Les exemples sont trop connus et trop près de nous pour nécessiter d’être cités où des dirigeants peu éclairés et notoirement incapables de gérer intelligemment les contradictions politiques, sociales et culturelles dans un contexte de crise économique ont engagé leur pays dans une violence inouïe où la raison perdue n’est pas sûre d’être retrouvée. Le régionalisme, l’ethnicisme, le tribalisme, le confessionnalisme, la xénophobie et même le racisme sont devenus des principes de gouvernement dans certains pays africains où l’Etat-nation a perdu toute sa réalité. Œuvrons à épargner notre pays de ces vieux-nouveaux démons dont l’Afrique est le continent de prédilection.

D’ériger nécessite qu’on fasse la preuve d’un certain nombre de vertus et de qualités. Des joutes oratoires, des débats contradictoires vont constituer des moments essentiels de la campagne présidentielle. La liberté, la stabilité, la crédibilité, l’honorabilité, la paix sociale, la tolérance, le pardon, sont autant de gains notables que nous avons capitalisés durant ce septennat. De même les acquis de notre pays en matière de libertés démocratiques et de respect des droits de l’homme ne sauraient nullement être contestés de bonne foi. Notre espace politique est devenu plus démocratique et plus civilisé.

Tout cela a permis à notre peuple de réaliser des acquis significatifs et durables aux plans économique, social et culturel. Le Partenariat des Intellectuels Burkinabè pour le Développement se fait le devoir de rappeler à tous ceux qui aspirent à la magistrature suprême que dans un tel contexte la compétition politique ne saurait être une question de vie ou de mort.

Les différences de points de vue dans l’analyse et dans l’argumentaire, les contradictions, les controverses, ne doivent en rien empêcher la possibilité d’un débat civilisé et convivial, empreint de courtoisie, d’humilité, de respect mutuel entre les candidats. La critique et le débat contradictoire constituent la substance de la démocratie. Tout scrutin aboutit nécessairement et logiquement à la victoire d’un candidat et à l’échec des autres protagonistes.

Sans surprise et en toute logique celui du 13 novembre ne fera pas exception à la règle. Pour utiliser le vocabulaire hippique, de la quinzaine de partants pour le fauteuil présidentiel un seul sera à l’arrivée sans peut-être qu’on ait besoin de photographie. Le bon déroulement du scrutin qui doit se faire dans une transparence totale sous la supervision des institutions républicaines et de la société civile, doit nous éviter toute contestation violente.

Un jeu politique civilisé implique l’acceptation du verdict des urnes en toute sportivité et le respect de la volonté des électeurs. L’acceptation est une preuve de maturité politique et traduit la volonté d’une pacification de l’espace public au lieu d’en faire une poudrière où un lieu d’affrontements permanent. Sans doute faudrait-il que nos hommes politiques se démarquent du principe mécanique et exclusionniste qui veut que « celui qui gagne prend tout, et que celui qui perd, perd tout ».

A quelques semaines de l’élection de la présidentielle du 13 novembre 2005, le PIBD demande à ceux qui se prétendent aptes à conduire la destinée du peuple burkinabè de nous proposer des projets de société à même de nous engager dans le chemin du développement, de conduire le pays à une place économique enviable. Il est certain que les Burkinabè préfèrent la démocratie. Seulement ils ne veulent pas la démocratie pour la démocratie encore moins celle qui sert les intérêts d’une minorité. Ils souhaitent voir la démocratisation se traduire par une amélioration sensible et tangible de leur vécu quotidien. Ils veulent aux commandes de cette démocratie non pas un aventurier, mais un responsable capable de se remettre en cause lui-même et remettre en même temps en perspective des chantiers audacieux susceptibles d’apporter des changements positifs et significatifs dans l’existence du plus grand nombre.

A l’issue du scrutin du 13 novembre 2005, ils veulent un premier magistrat qui va s’engager pour une prise en charge effective et efficace des aspirations et des préoccupations de la majorité des populations. Le peuple burkinabè a des droits et celui qui s’engage à le conduire a des devoirs.

Conclusion

Le Partenariat des Intellectuels Burkinabè pour le Développement s’est fait le devoir intellectuel de rappeler ces principes de base par la présente déclaration qui n’est ni pour les uns ni contre les autres, mais qui vise seulement, à l’instar d’autres intellectuels, à apporter sa modeste contribution par la plume pour le développement de notre pays. Le rôle des intellectuels est entre autres choses d’éclairer les décideurs. Puissent les candidats à l’élection présidentielle prêter attention à cette déclaration et en tirer profit.

Ouagadougou, le 7 octobre 2005

Le PIBD

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