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Me Appolinaire Kyelem : "Les Cours constitutionnelles sont inutiles et nuisibles"

Publié le mercredi 5 octobre 2005 à 08h32min

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Me Appolinaire Kyélem, enseignant-chercheur, avocat au
Barreau du Burkina, est formel : "Les cours constitutionnelles en
Afrique ne disent vraiment le droit que quand les enjeux sont
mineurs et sans importance pour les princes". Elles sont, dit-il, "
de simples objets décoratifs, inutiles et nuisibles...". Et il s’en
explique en 27 points.

1- Au Burkina Faso, le Conseil constitutionnel a pour mission,
principalement, de statuer sur la constitutionnalité des lois,
d’interpréter les dispositions de la Constitution et de contrôler la
régularité des élections. Les dispositions relatives au Conseil
constitutionnel sont pratiquement une simple reprise des
dispositions de la Constitution française en la matière.

2- Les membres du Conseil constitutionnel sont nommés pour
un mandat unique de neuf ans. Vu l’importance, la spécificité et
la sensibilité de leur mission, ce mandat d’une durée
particulière s’explique par le souci de leur aménager des
conditions de travail en dehors de toute pression et de leur
garantir une indépendance effective. C’est pour ces mêmes
raisons que de façon générale les membres des cours
constitutionnelles bénéficient de traitements particuliers qui
parfois peuvent faire pâlir de jalousie ou d’envie.

3- La pratique cependant révèle l’inutilité des garanties et
précautions prises à l’endroit des membres des cours
constitutionnelles, du moins pour ce qui concerne l’Afrique et
certains pays non développés. Au lieu que les traitements
particuliers et autres avantages contribuent à garantir
l’impartialité des bénéficiaires, ils sont plutôt des moyens de
s’assurer de leur soumission et de leur contrôle.

4- Sur des questions mineures aucun problème ne se pose, et
les cours constitutionnelles font leur travail comme elles le
peuvent. Mais, dès que le pouvoir en place est concerné, il est
alors très rare en Afrique de voir une cour constitutionnelle faire
preuve d’originalité et de hardiesse et décider en toute
indépendance et impartialité. Quelques exemples suffisent à
illustrer la versatilité et l’opportunisme des cours
constitutionnelles africaines ou ce qui en tient lieu.

5- Les élections présidentielles de 2002 au Zimbabwe n’ont pas
été exemptes d’irrégularités. Le candidat de l’opposition a été
entravé dans sa campagne électorale. En outre, le décompte
des voix semble n’avoir été ni sincère ni transparent. Pourtant la
cour constitutionnelle s’est empressée de proclamer le
président sortant, Robert Mugabe, vainqueur des élections, et de
rejeter les recours introduits par le candidat de l’opposition qui
contestait les résultats.

6- A Madagascar les élections présidentielles de fin 2001
opposaient le président sortant Didier Ratsiraka au candidat de
l’opposition Marc Ravalomanana. Dès le premier tour une
divergence apparut dans l’appréciation du résultat du scrutin.
Marc Ravalomanana estimait avoir remporté les élections tandis
que selon le camp de Didier Ratsiraka un deuxième tour était
nécessaire. Dans ces conditions, Marc Ravalomanana
demanda un nouveau décompte des voix de façon transparente
pour départager définitivement les prétendants. Ce que refusa
Didier Ratsiraka, suivi en cela par la cour constitutionnelle. Le
pays sombra alors dans l’anarchie. Après des mois de
manifestations de rue et un début d’occupation des lieux à
Antananarivo la capitale, l’on dut reconnaître la victoire de Marc
Ravalomanana. La même cour constitutionnelle qui avait pris
fait et cause pour le président sortant fit marche arrière et, sans
aucune gêne, rejoignit le mouvement populaire et proclama
Marc Ravalomanana vainqueur des élections.

7- On raconte que dans un pays d’Afrique francophone, à
l’approche des élections présidentielles, le président sortant qui
était candidat à sa propre succession réunit ses ministres et
leur tint à peu près ce langage : "Faites ce que bon vous
semble, quant à moi je ne battrai pas campagne". Sur ce, les
ministres paniquèrent. Vu l’implantation de l’opposition, si leur
maître refuse de battre campagne c’est la défaite annoncée et
adieu les maroquins et bonjour peut-être les poursuites
judiciaires. Mais le maître avait conçu son plan. Il fit convoquer
séparément chaque membre de la cour constitutionnelle, remit
à chacun une enveloppe très consistante avec pour seule
consigne ceci : Faites tout pour que je remporte les élections.
Effectivement il ne fit pas campagne. Effectivement il remporta
les élections avec la bénédiction de la cour constitutionnelle
malgré les protestations de l’opposition qui, vu l’ampleur et la
grossièreté des fraudes qui ont émaillé le premier tour, refusa
de participer au second tour.

8- L’exemple récent du Togo est assez éloquent. Après le décès
le 5 février 2005 du président Étienne Gnassingbé Éyadéma,
pour préserver ses intérêts de classe, le groupe dirigeant
s’empressa de proclamer président un des fils du défunt, Faure
Éyadéma. Et ce, en violation de la Constitution du pays qui, dans
un tel cas, dit que c’est le président de l’Assemblée nationale
qui doit assurer l’intérim. Immédiatement la cour
constitutionnelle fut convoquée et Éyadéma-fils prêta serment
non pas comme président intérimaire mais pour terminer le
mandat de son défunt père. La cour constitutionnelle ferma les
yeux sur les violations grossières de la Constitution dont elle est
pourtant chargée d’assurer le respect. C’était désolant de voir le
spectacle de ces vieillards dans leur robe de cérémonie recevoir
le serment irrégulier et indécent du président autoproclamé
Faure Éyadéma.

9- La pilule était tellement grosse qu’elle dépassait la capacité
d’absorption de la communauté internationale. Sous des
pressions conjuguées, Faure Éyadéma dut faire marche arrière
et renoncer à la présidence. Il s’arrangera toutefois pour se faire
proclamer vainqueur des élections présidentielles du 24 avril
2005. Ainsi, le 4 mai 2005, devant la même cour
constitutionnelle, Faure Éyadéma prêtait de nouveau serment,
cette fois comme président élu avec la bénédiction de la même
cour constitutionnelle.

10- le 6 juin 2005 un référendum constitutionnel a été organisé
au Tchad en vue de supprimer la disposition de la Constitution
qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux et ce, pour
permettre au président Idriss Déby d’être rééligible à volonté.
Peu de temps avant la tenue du référendum, le traitement
mensuel des membres de la cour constitutionnelle aurait été
considérablement augmenté. Toujours est-il que malgré l’appel
au boycott de l’opposition, malgré les protestations, les
accusations de fraudes et de manipulations, le résultat du
référendum a été très largement favorable au pouvoir en place
avec officiellement un taux de participation de 71,01% et 77,20%
de oui contre 22,80% de non. Le président Déby peut donc
maintenant briguer autant de mandats que bon lui semblera.

11- Il en résulte que dans la réalité, en Afrique les cours
constitutionnelles sont de simples objets décoratifs. Si ce n’était
que cela ce ne serait pas grave. Au-delà des querelles
partisanes, il convient de reconnaître qu’elles sont inutiles et
même nuisibles.

12- Elles sont inutiles parce que tout compte fait, leur
contribution est quasiment nulle et sans incidence positive sur
la vie de la nation. Elles ne disent vraiment le droit que quand
les enjeux sont mineurs et sans importance pour les princes.
Dans les cas contraires elles sont des moyens de justification
de la volonté des princes. Il est donc aisé d’anticiper sur les
décisions de ces juridictions.

13- On est d’ailleurs amené à constater que dans la plupart des
pays sans hiver, la justice de façon générale fonctionne de la
même manière que les cours constitutionnelles. Le juge n’est
jamais aussi indépendant et à l’aise que quand l’affaire en
cause ne concerne que de misérables justiciables. On pourrait
ainsi être amené à croire avec Francis Hallé de l’université de
Montpellier que le climat peut avoir un rapport avec la misère
actuelle de certains peuples.

14 - Les cours constitutionnelles sont nuisibles parce qu’elles
contribuent à masquer la réalité aux citoyens. En faisant croire
que le droit est dit alors que c’est la volonté des princes qu’elles
expriment, elles servent de couverture à la dictature. Elles
contribuent à tromper les citoyens sur la façon dont ils sont
gouvernés. Dans la réalité, chaque cour constitutionnelle est la
cour du prince, et ses membres sont les premiers courtisans.
En outre, vu les traitements de faveur dont ceux-ci bénéficient
presque toujours, ces cours sont budgétivores dans un contexte
de grande pauvreté.

15- Ces propos peuvent cependant être légèrement relativisés.
Dans un pays non développé, il peut arriver qu’une cour
constitutionnelle se prononce de façon objective et
indépendante sur une question importante. C’est souvent la
marque d’une personnalité exceptionnelle qui peut se retrouver
à la tête de l’institution. Toutefois, une telle attitude ne peut être
que conjoncturelle et circonstancielle. Elle ne saurait perdurer.

16- Le problème essentiel de l’Afrique actuelle, c’est la pauvreté
matérielle et la misère morale et intellectuelle. Quand elle est
uniformisée et vécue dans un monde clos, la pauvreté
matérielle peut être un moyen de paix et de sagesse. Dans le
cas contraire, elle est plutôt un élément perturbateur.

17- Dans le village planétaire qu’est devenu le monde, l’extrême
richesse des uns influe sur le comportement des plus pauvres.
Dans ces conditions, un minimum est nécessaire pour que le
citoyen retrouve son équilibre psychique. Dans un tel contexte il
serait illusoire de croire à la possibilité d’existence dans un
pays d’un système autonome dans une situation de grande
pauvreté.

18- Il est donc permis de penser que certaines conditions sont
préalables à l’avènement d’une cour constitutionnelle
indépendante dans un pays :

* Le revenu annuel moyen par habitant devrait avoir atteint un
certain niveau, trois mille dollars par exemple. Le citoyen est
alors à l’abri des besoins essentiels et acquiert de ce fait une
certaine autonomie de pensée et d’action.

* La classe moyenne dans son ensemble devrait être
majoritaire. Cela atténue le pouvoir d’attraction de l’argent et
limite les manipulations qu’il permet.

* Les écarts de revenus devraient être contenus dans une
certaine mesure. Cela limite le pouvoir de mystification des
détenteurs de gros revenus.

19- Dans ces conditions, délivré de la faim et des angoisses du
lendemain, plus ou moins détaché et insensible aux
gesticulations des uns et des autres, conscient de ses droits et
de ses devoirs, le citoyen peut alors, à quelque niveau qu’il se
trouve, participer librement à l’évolution de la société et assumer
librement ses fonctions.

20- Si ces conditions ne sont pas remplies, les cours
constitutionnelles relèvent alors d’un mimétisme inadapté et,
comme le montrent les exemples ci-dessus, elles n’ont
pratiquement pas de raison d’être. Au Burkina, les récentes
alliances politiques parfois contre nature en vue des élections
présidentielles du 13 novembre, et les révélations portant sur
des partis politiques dits de l’opposition qui dans l’ombre se
font financer par le chef de l’État alors qu’en plein jour ils
clament leur opposition radicale à celui-ci et à sa politique
montrent comment, à l’époque actuelle, un contexte de pauvreté
généralisée sur un espace déterminé peut générer une misère
morale généralisée. Elles montrent aussi comment dans un tel
contexte les pièges sont faciles à tendre, l’honneur et l’éthique
difficiles à respecter.

21- Pour ce qui concerne le contrôle de la régularité des
élections, le rôle que les constitutions attribuent aux cours
constitutionnelles peut être plus efficacement assumé par les
juridictions administratives suprêmes ou toute autre institution
consensuelle. Ce pourrait être le Conseil supérieur de la
magistrature présidé ni par le chef de l’Etat, ni par le ministre de
la Justice, mais par une personnalité élue en son sein.

22- Pour ce qui concerne le contrôle de la constitutionnalité des
lois, il convient de noter que s’il peut être nécessaire, il n’est pas
indispensable. En France il a été adopté seulement en 1958 à
tel point que certains ont pu dire qu’il a été introduit “ par
surprise ” dans la Constitution du 4 octobre 1958 et qu’il
constitue une des principales innovations de la Ve République.
Sous la IIIe et la IVe République en effet il n’y avait pas de
contrôle de constitutionnalité des lois au motif que la loi est un
acte souverain voté par le législateur, et que le contrôle de
constitutionnalité est incompatible avec la démocratie. On peut
en effet difficilement admettre que la loi, expression de la volonté
et de la souveraineté nationales, puisse être contrôlée par une
autorité quelle qu’elle soit. Cela revient à dénier toute
souveraineté au peuple. Comme l’écrit Michel Troper, “ il faut
nécessairement expliquer comment le peuple peut être
souverain, si les lois qu’il adopte par ses représentants sont
soumises à un contrôle. ”

23- De nos jours le principe du contrôle est généralement
admis car on estime que le législateur doit respecter la
Constitution et que le contrôle de constitutionnalité est un
instrument nécessaire de la démocratie. Le débat cependant
n’est pas clos. Dans certaines Constitutions comme les
Constitutions polonaise et roumaine, le dernier mot revient au
Parlement. Celui-ci, en effet, statuant à la majorité qualifiée des
voix, peut faire entrer en vigueur la loi jugée inconstitutionnelle
par la cour.

24 - Dans le contexte actuel de l’Afrique, si le principe du
contrôle est adopté, en lieu et place de la cour constitutionnelle,
il pourrait être assuré par le Parlement dans des modalités à
déterminer. De même, la prestation de serment du candidat élu
à la présidence de la République pourrait se faire devant le
Parlement, et la déclaration des biens pourrait être déposée
dans le Bureau de l’Assemblée nationale.

25- Il serait opportun d’instaurer un système spécifique de mise
en cause de la responsabilité des membres des cours
constitutionnelles et d’ériger en crime imprescriptible toute
action ou omission consciente de leur part qui aurait pour
résultat de fausser la sincérité et la transparence des élections.
Pour ce qui concerne le Burkina, cela pourrait relever de l’article
166 de la Constitution, selon lequel “ La trahison de la Patrie et
l’atteinte à la Constitution constituent les crimes les plus graves
commis à l’encontre du peuple. ” Il resterait alors à prévoir les
sanctions. Ces mesures ne supprimeront pas le mal mais
pourraient contribuer à le limiter.

Toutes les forces politiques
devraient conjuguer leurs efforts dans ce sens car ce sont des
mesures qui, sans nul doute, contribueront à renforcer la
démocratie et à garantir la stabilité des institutions. La roue de
l’histoire ne pouvant s’arrêter de tourner, les tenants actuels du
pouvoir peuvent un jour se retrouver dans l’opposition et
inversement.

Comme le disait El Hadj Omar Tall, c’est quand on
est au sommet de la gloire qu’il faut se frayer un chemin vers la
défaite. Tout le monde a intérêt à l’avènement de cours
constitutionnelles crédibles.

26- En définitive, la vraie cour constitutionnelle reste la
conscience et la vigilance du peuple. Lors des élections
présidentielles de 2000 dans l’ex-Yougoslavie, le président
sortant, Slobodan Milosevic, avait perdu face à Vojislav
Kostunica. Il refusa d’admettre sa défaite et reçut le soutien de
la cour constitutionnelle.

Après des semaines de manifestations
de rue, il fut contraint à reconnaître sa défaite et ce fut la même
cour constitutionnelle qui proclama Kostunica vainqueur des
élections. Un an plus tard, le même scénario se déroulait à
Madagascar. Au Burkina Faso, à la suite des événements de
Sapouy du 13 décembre 1998, des dispositions de la
Constitution ont été révisées sous la pression populaire.

27- Dans l’état actuel des choses, la cour constitutionnelle en
Afrique est un produit du rapport des forces, un ornement au
service du prince et pour le plaisir de la communauté
internationale. Les forces politiques de l’opposition peuvent très
bien contester son rôle et ses décisions.

Toutefois, en cas de
changement de majorité, les mêmes forces parvenues au
pouvoir s’empresseront de s’en accommoder et de jouir des
avantages dont une telle institution peut leur permettre de
bénéficier.

Ouagadougou, le 4 octobre 2005

Appollinaire J. KYELEM de Tambèla
Enseignant-chercheur,
Avocat au Barreau du Burkina Faso

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